Film unique en son genre, El Topo est à l'image de l'intégralité de l'œuvre de son réalisateur : fascinant. Si El Topo manœuvre pour vaincre les Maîtres du Désert, le réalisateur ne triche à aucun moment avec la caméra. Le récit est construit comme une BD : chaque plan nous délivre sa force symbolique de façon indépendante.
Œuvre exceptionnelle à bien des égards, El Topo reste avant tout un western avec tous les codes qui en découlent. L'influence western spaghetti des films de Sergio Leone se fait particulièrement ressentir par son aspect baroque mais aussi par la multiplication des effusions de sang. Pour autant, si Alejandro Jodorowsky s'impose les codes classiques du western, c'est pour mieux les détourner. En effet, les cowboys classiques obéissent généralement à une morale qui leur est propre et en ce sens, El Topo appartient parfaitement à cette catégorie puisqu'il apparaît comme une sorte de Dieu sur Terre, distribuant la mort comme Jésus répandait la bonne parole. Pour autant, le personnage d'El Topo rompt brutalement avec le héros de western classique puisqu'il est capable de se remettre en cause et ira même jusqu'à s'immoler à la façon des moines bouddhistes, acte improbable dans un western de John Wayne par exemple.
Le réalisateur chilien nous livre une œuvre éminemment personnelle (il joue lui-même le personnage d'El Topo) et la quête mystique qui est offerte au spectateur est en réalité celle vécue par Jodorowsky. En ce sens, El Topo est une critique sans concession de la société de l'époque (le film est sorti deux ans après 1968), que ce soit aussi bien le capitalisme (le triangle avec l'œil au milieu rappelle le dollar américain), le racisme (voir le cas du traitement du seul personnage noir dans le film) ou encore la société de spectacle et de l'apparence incapable de tolérer les plus faibles (ce qui n'est pas sans rappeler le Freaks de Tod Browning).
A l'image de Stanley Kubrick et son 2001, A Space Odyssey réinventant la science fiction afin d'y transcrire un mythe nietzschéen, Alejandro Jodorowsky offre une nouvelle dimension au western en lui octroyant un souffle mystique. Pour autant, alors que la science-fiction a continué de se développer après l'œuvre de Kubrick, El Topo marque à l'inverse la fin du western.
Le caractère personnel du film est à la fois ce qui justifie l'authenticité d'El Topo mais aussi la raison pour laquelle le récit est marqué d'une particulière lourdeur et d'un symbolisme assez outrancier. Jodorowsky nous délivre ici toutes ses obsessions : les formes géométriques, la chair, la religion, le sol, les animaux, etc. La répétition de ces éléments fascine de prime abord mais finit par devenir assez indigeste.
Expérience unique, El Topo n'est pas un film que l'on apprécie ou que l'on analyse : on le vit.