Avec Election, Johnnie To fait rentrer le film de triades hongkongais dans la catégorie des grandes fresques maffieuses, l’anoblissant de par sa grande qualité d’inventeur de figures de styles faisant s’élever ses personnages dans une sorte d’aura confinant aux atouts nobles des grands films de chevalerie.
Dépouillé et frontal, son film gagne à s’être débarrassé des scories et façons de faire, toutes honorables soient-elles, des polars du milieu façonnés par les grands auteurs hongkongais, en le faisant entrer dans une ère du réalisme sérieux, quoique non dénué d’une certaine ironie sur l’absurdité du pouvoir et les moyens de l’atteindre.
De par ses ambitions formelles et narratives, le film tend vers la grande fresque maffieuse à la Coppola, toutes proportions gardées ; le temps n’ayant pas encore marqué de son empreinte la noblesse de la grande postérité. Usant avec une certaine délectation, et sans jamais totalement tomber dans la citation, des codes du genre, il se les approprie tout en continuant à faire vivre son propre cinéma, à sa manière de faire.
Au-delà de l’aspect purement stylistique et de cette élévation méta qu’il fait prendre à son ouvrage, il sait user d’un excellent casting mis au service de sa mise en scène sophistiquée. Simon Yam est toujours crédible dans la peau d’un gangster et Tony Leung Ka-Fai, qui en fait parfois un peu trop, s’auto-parodie naturellement. Le reste de la distribution est fait de figures incontournables du grand cinéma de genre de l’ex-colonie, avec quelques anciennes gloires comme David Chiang, Tam Bing-Man, Eddie Cheung et le réalisateur-acteur Wong Tin-Lam, génial, dans le rôle du vieil oncle bedonnant Teng Wai, mais également le très Toien Lam Suet et un très surprenant Nick Cheung tout en fureur.
Moins ancré dans la démonstration formaliste et le découpage virtuose que ce grand réalisateur a au moins eu le mérite d’avoir su apporter à l’édifice du polar hongkongais, que ses précédentes œuvres, Election réussit à imprimer une sensation de grandeur décadente à ces assoiffés de pouvoir qui compose cette fratrie des faux-semblants.
Réussissant à donner à ses personnages une aura Melvilienne pour mieux les canaliser vers le fatalisme lapidaire dans lequel il les conduit, Johnnie To réussit une grande fresque aux accents Shakespeariens sur le pouvoir et les moyens d’arriver à ses fins.