Dans La Chienne, second film parlant de Jean Renoir, c’est surtout quand les voix se taisent et que l’image reprend naturellement ses droits que le lyrisme dramatique s’impose pour offrir de grands moments de cinéma. Se jouant des balbutiements des dialogues souvent vains, le futur réalisateur de La Grande Illusion, offre une imagerie qui s’affranchit du son pour imprimer une cruauté et une violence sourde tout en mettant en avant les travers d’un être torturé qui n’a le droit de s’exprimer que par son art, en l’occurrence la peinture, extraordinaire Michel Simon.
Raillé par ses collègues de travail qui moque son côté pépère tranquille, méprisé par une épouse cracheuse de venin, qui lui reproche de s’adonner à son unique moyen d’expression, la peinture dont il possède de vrais talents - d'ailleurs le réalisateur en profitera pour poser quelques grands questionnements sur la valeur de l'art - Maurice Legrand, quel patronyme plus commun peut on donner à un personnage des plus communs…, s’éprend de la jeune et belle Lucienne, dit Lulu, lolita aux yeux de biche qu’il sauve un soir des mains violentes de son mac de compagnon dont elle n’a que d’yeux.
Sur un scénario basique dont l’auteur s’affranchit dès l’intro, en présentant son ouvrage comme une sorte de spectacle de marionnettes où la morale sera absente et fera place à une histoire du quotidien où se meuvent des personnages singuliers, Renoir parvient à créer une scénographie où la dramaturgie naîtra par les actes annoncés d’une progression imbibée par un sentiment de fatalité. Tout ça ne peut que finir mal. Et cette évidence explosera dans une scène de crime d’un lyrisme absolu et d’une mise en scène frisant la perfection : en donnant la mort, l'artiste délivrera sa plus belle oeuvre.
Pas beaucoup d’illusion sur la nature humaine dans ce film d’un Renoir dont la misanthropie se diffuse dans un splendide noir teinté de blanc, en montrant les travers et les plus bas instincts, il prend le spectateur comme témoin de cette décadence. Il montre la laideur dans la beauté d’une poupée malfaisante et inverse ce processus dans le personnage de Monsieur Legrand, Michel Simon dont la beauté physique n’était pas l’apanage premier et qu'il disait d’ailleurs ne pas regretter. Beauté-laideur, bien-mal, la limite est bien plus ténue que ce que laisse voir les apparences, et c'est dans cette frontière poreuse et perfectible que l’image prend son sens.
A noter que ce film fera l'objet d'un remake réalisé par le grand Fritz Lang, avec Edward G. Robinson reprenant le rôle de Michel Simon.