J'ai soudain eu le courage hier soir de visionner "Element of Crime", premier et remarqué film de Lars Von Trier. Voilà qui offre une soirée... intéressante, je vous le dis. Ce film est bien sûr inclassable, comme beaucoup de choses que fait Von Trier. Il s'agit grosso modo de l'histoire d'un inspecteur de police, revenu du Caire, qui remonte la piste d'un tueur en série. Et cela va se faire au détriment de sa (et de nôtre ?) santé mentale.

D'abord c'est un film magnifiquement réalisé, qui rappelle les œuvres de David Lynch. Il n'y a pas un plan qui laisse indifférent. Tout y exprime le chaos le plus définitif et l'Europe où est censée se passer l'action est un monde englouti, ravagé , où la civilisation existe à l'état de traces (les registres d'hôtel, une police qui ressemble à un gang de néo-nazis...). le tout est baigné dans une lumière orange permanente, comme si le monde était enfoui sous un ciel de poussière rouge (A noter que le si l'Europe est inondée, Le Caire s'ensable irrémédiablement, Lars Von Trier nous parlerait-il déjà du réchauffement climatique?).

Dans ce climat d'apocalypse au ralenti, une enquête policière est bien chose bien étonnante. Car qu'est-ce donc si ce n'est que la mise au pas du chaos, la mise en relation logique d'éléments disparates, la mise en ordre du monde? La démarche du policier est d'autant plus frappante qu'il essaie de suivre les règles d'investigation issue d'un livre un peu mythique "Element of Crime" écrit par son mentor d'autrefois. Cette impression de " recette oubliée" accentue le sentiment qu'un monde plus sage est en passe d'être oublié. L'enquète (la quête?) scientifique elle-même contrastera avec la démarche occulte du tueur(présence d'une sorte de pentagramme alchimique)

Tout le contexte évoque un aspect post-traumatique, tant la thérapie du héros (qui raconte son histoire à son psy), que l'état du pays traversé (une Allemagne ravagée, pareille à l'après guerre). Tous les plans du films sont fragmentés visuellement, les acteurs séparés par des cloisons, des petites pièces, des grillages. Partout des miroirs ou des flaques d'eau éclatent notre vision. Seule la démarche obstinée de Fisher (un nom qui convient à cet homme à la pèche au gros et qui mordra lui aussi à l'hameçon) donne un liant , une cohérence à cet éclatement des choses. Et le final, réunissant en une identité unique chasseur et proie en est comme l'apothéose logique.

Ce film est quelque peu Nietzschéen en son centre. On commence par une exergue du philosophe (la fameuse citation sur les monstres, annonciatrice de la néfaste transformation du héros). On y découvre la figure torturée du cheval , réminiscence encore de notre philosophe, et bien sûr il y a un parfum d'Eternel Retour dans le fait que le policier "revive" en quelque sorte le parcours du tueur (et surtout retrouve la même prostituée, hasard qui n'en est pas un). Notez aussi que cette psychanalyse sous hypnose ouvre encore tout un champ d'interprétations au plus curieux d'entre vous, notamment sur l'enfance, violemment présente dans le film .

Je suis fort content d'avoir enfin vu ce film assez bluffant, au visionnage un poil exigeant, parfois ennuyeux , et qui mériterait un cours dédié dans une école de cinéma, au vu de toutes les techniques et références que j'effleure à peine ici. Extraordinaire et imparfait premier film donc. Je ne peux pourtant que le recommander (avec prudence) aux cinéphiles !
nostromo
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le 31 oct. 2014

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