Parler d'Element of crime n'est pas chose facile. Essayons tout de même, au risque de nous perdre autant dans cette critique que dans le film lui-même.


Partant d'un postulat de film noir (une histoire d'enquête, la voix off), le film de Lars Von Trier s'en détache aisément, de par sa facture formelle (plus film expérimental que film de genre) et son scénario labyrinthique - où il est question de retrouver Harry Grey, le tueur en série ; un Harry Grey, insaisissable, qui se révèle être l'équivalent d'un McGuffin - cher à Hitchcock - c'est-à-dire un élément sans intérêt, sauf celui d'initier le film lui-même. Element of crime est un film visionnaire (c'est-à-dire proposant une vision personnelle), créant un espace-ville (sorte de patchwork d'époque et de lieux différents) et une temporalité (une sorte de nuit permanente) totalement propres et détachés de la réalité. A tous ces niveaux, Blade Runner n'est finalement pas loin, pour un résultat totalement différent. Même le choix de la photo sépia est totalement personnel, il n'est pas néanmoins totalement arbitraire et peut se justifier par la scène initiale : l'inspecteur revit ici une expérience traumatisante sous hypnose...tout ce que nous allons voir est ainsi sa propre vision de faits altérées, déformées dans un rêve hypnotique.


Drôle d'objet filmique, Element of crime, brouillon et touffu, peut s'appréhender au vue des réalisations postérieures de Lars Von Trier ; le film pouvant être considéré comme la première pierre d'une filmographie originale et cohérente. Ainsi, Europa, dernier volet de la trilogie sur l'Europe (entamée justement par Element of crime), se déroule dans l'immédiate après guerre dans une Allemagne dévastée. Dès lors, les images de chaos, d'immeubles délabrés d'Element of crime, peuvent se référer à cette Allemagne année 0, comme si le film transportait en lui le traumatisme de cette époque, encore présent de nos jours. Si film noir, il y a, il est plus à chercher dans le Troisième homme que dans un film de Bogart, dans un monde paranoïaque et schizophrène (la folie, autre thème du film ; une folie individuelle mais aussi collective). Est-ce là une uchronie, un film d'anticipation ? Nous ne saurons pas et ce n'est pas bien important. Von Trier nous invite à nous laisser aller, comme Fisher lui-même guidé par un maitre de l'hypnose dans un Egypte fantasmé.


Le cinéma de Von Trier s'interroge sur la création cinématographique elle-même, et sur le rôle de manipulateur du cinéaste. C'est littéralement le cas dans Epidemic qui renverse les rôles (là, c'est le film qui s'émancipe de son auteur ) ou dans Europa, où le cinéaste omniscient et omnipotent décide de faire mourir son personnage principal - il en a le pouvoir et le fantasme. Le cinéma de Von Trier est ainsi vertical et le recours à la plongée-contre plongée (largement usité dans Element of crime) nous rappelle qu'au-dessus de Fisher, il y a le vrai Harry Grey (hors champ...sauf rapidement vu dans une scène), il y a l'hypnotiseur (hors cadre) et même le cinéaste (hors le film) dont la virtuosité n'a pas son pareil pour perdre son malheureux héros (et nous avec).

denizor
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le 27 sept. 2018

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