Earth, Wind & Fire
Pixar n'avait plus parlé d'amour dans ses films depuis Wall●E. Soit depuis une éternité. A l'époque, c'était tendre et touchant, cela faisait plein de bruits mignons et le final émouvant aurait...
le 18 juin 2023
66 j'aime
5
Attendez...
Je vois bien ce que je vois là ?
Une métropole chamarrée faite de buildings rayonnants, de monorails étincelants et d'un ciel toujours bleu ?
Une population cosmopolite qu'on nous présente comme divisée de différences voire d'incompatibilités mais qui s'efforce malgré tout de faire cohabiter entre eux ses membres ?
Et tout cet univers va être mis en branle par un duo de héros appelant à faire voler ces divisions en éclats ?
Non mais merde alors ! Ne me dites pas qu'ils sont allés jusqu'à mettre du Shakira !!
(Spoiler : non.)
Rah mais c'est fou ça ! Quand bien même on ne voudrait pas faire le rapprochement que ce film nous impose malgré tout à le faire !
Car oui, impossible en voyant cet Élémentaire de ne pas penser à ce film d'animation Disney sorti sept ans plus tôt ; j'ai nommé bien évidemment Zootopie.
Non mais, rien que ça, la vache quoi...
Je veux bien que, pour certains, sept ans sont une éternité et que Pixar et Disney – c'est comme entre le Coca et le Pepsi – ça n'a rien à voir. Mais pour un type comme moi, ce genre d'impression de décalcomanie, ça a vraiment – pour commencer – quelque chose de très gênant.
C'est déjà gênant du fait qu'on voie du coup très bien vers quel terrain le film entend nous emmener, mais c'est d'autant plus gênant quand on se rend progressivement compte à quel point cet Élémentaire a l'air d'être parti pour vouloir nous refaire le coup mais avec de bien plus gros sabots.
D'un côté il y a les gens de feu et de l'autre les gens d'eau. Plus loin les gens végétaux et les gens gazeux... On nous explique que toute la cité s'est construite par vagues migratoires successives ; qu'il y a d'abord eu les aquatiques et les boisés, et que c'est ce qui explique d'ailleurs pourquoi la cité semble davantage pensée pour eux que pour les petits derniers de la classe...
Bien évidement on cohabite mais on évite de se toucher. On se tolère mais on ne manque pas d'entretenir des amalgames et des présupposés sur les groupes voisins...
Ah mais dites donc ! C'est d'une subtilité !
Mais ce qu'il y a surtout de triste dans cette affaire – d'autant plus pour un Pixar – c'est que le niveau d'intrigue ait suivi la même voie.
C'est plat. Tristement évident... J'aurais presque envie de dire tristement américain.
C'est l'histoire basique de l' American Dream. C'est la petite famille d'immigrés qui arrive sans rien mais qui va se relever les manches et faire en sorte que, dès la génération suivante, une porte soit ouverte pour que chacun puisse exhausser ses rêves, d'où qu'il vienne.
Et il a fallu en plus de ça que le film nous colle une histoire d'amour interraciale impossible...
...Non mais pitié : achevez-moi.
Alors bon, après c'est sûr que malgré tout, bon an mal an, on peut toujours se raccrocher à quelques trucs de ci de là.
Les décors sont jolis, réfléchis et travaillés et ce n'est pas désagréable de laisser fureter son œil à droite et à gauche.
Idem, à quelques moments, on retrouve un certain savoir-faire Pixar pour mettre en images certaines scènes ou pour générer un petit moment d'émerveillement ou d'émotion.
Et puis on pourra éventuellement se satisfaire d'avoir au moins l'un des deux personnages principaux (Flack) pour rompre avec les figures habituelles de bellâtre, même si, bon, l'un dans l'autre, il n'y a pas de quoi sauter au plafond non plus.
En fait, je crois que ce qui m'accable le plus avec cet Élémentaire, c'est qu'il ait pris pour parti de revenir sur le terrain de Zootopie alors que personne ne lui demandait (en tout cas pas moi) tout en allant se vautrer dans tous les pièges que le film de Disney avait pris globalement le soin d'éviter.
Dans Zootopie on avait veillé à ce qu'on ne puisse pas vraiment associer certaines catégories d'animaux à des catégories sociales ou raciales spécifiques, ce qui permettait pas mal de raccourcis... Eh bien, rien de tout ça dans Élementaire.
Dans le film Pixar, c'est subtilité zéro niveau symbolique, si bien qu'on ne nous invite jamais vraiment à sortir de nos représentations.
Pire que ça, en associant des groupes sociaux spécifiques à des éléments qui sont par nature incompatibles, le film en vient à réinvestir malgré lui un logiciel raciste dont il aspirait pourtant (du moins me semble-t-il) à en prôner le dépassement.
Idem, dans Zootopie, on avait su relativiser la place occupée par la question sociale en sachant multiplier les autres sujets d'intérêt : exploration de la cité, références cinématographiques diverses, et surtout des notes d'humour jouant sur différents tons, et notamment sur celui de la (gentille) satire sociale qui pouvait laisser supposer un minimum de recul critique sur la vie en métropole...
Là, dans Élémentaire, on fait tout l'inverse. On insiste à outrance sur la thématique centrale, on tue toute possibilité de lecture ambiguë et/ou transversale, et puis surtout ou oublie de questionner un seul instant le bien-fondé du modèle social qu'on entend ici allégoriser.
Ah ça ! Déjà à l'époque j'estimais que c'était la principale limite de Zootopie ; que derrière son questionnement habile des discriminations, il s'était bien gardé – grâce à un tour de passe-passe des plus fallacieux – d'introduire dans sa réflexion les iniquités induites par le modèle libéral et capitaliste étatsunien.
Autant vous dire du coup que, sur cet aspect, du côté d' Élémentaire et de sa lecture aux gros sabots, on va y aller les deux pieds dans le plat sur cet aspect là. Et à pieds joints s'il vous plaît !
Et vas-y qu'on se fait le chantre de la vie en ville au milieu du verre norman-fosterien et du béton-fourmilière des townships éthniques !
Et vas-y qu'on te pose la culture du performing d'entreprise comme seul horizon d'accomplissement personnel tandis que les jeux du cirque sont présentés en parallèle comme seul exutoire, le tout enrobé de guimauve choupi à base de ola / team building / free hugs qui permettent à tout ce petit monde d'avaler la pilule de l'impitoyable compétition sociale.
Et bien évidemment, il aura fallu qu'à côté de tout ça le film ose te promouvoir au burin les vertus d'une bourgeoisie ouverte qui sait lancer les échelles sociales nécessaires aux individus méritants d'en bas tandis que de l'autre côté on te présente les masses populaires comme ne sachant faire preuve que d'obscurantisme et d'oppression.
Voir s'exprimer un discours aussi cadenassé et conservateur au sein d'une production issue des studios à la lampe, franchement, ça fait quand même vraiment mal au cul quand on y pense bien.
Parce que, bon, on ne va non plus refaire ici tout l'historique de Pixar, mais rappelons-nous tout de même qu'il y a un temps pas si lointain, ce jeune studio d'animation était le symbole de productions avant-gardistes, riches, réfléchies et subtiles quand, au même moment, le mastodonte Disney s'emmurait dans ses carcans faits de princesses chantantes et d'animaux qui parlent.
D'un côté il y avait les Monstres et Cie, Indestructibles, Ratatouille et Wall-E, tandis que de l'autre il y avait les consternants Chicken Little et autres Ferme se rebelle...
Et maintenant nous voilà en 2023, dix-sept ans après une fusion historique entre les deux studios d'animation, à constater que Pixar se retrouve désormais réduit à faire du sous-Disney ; qui plus est dans un domaine où il avait pourtant su imposer sa marque de fabrique ; une marque reposant – entre autres – sur la malice et la subtilité de ses contes sociaux.
Alors bien sûr, je n'oublie pas qu'il n'y a pas si longtemps que ça, Pixar nous gratifiait encore de l'excellent Soul et qu'il saura peut-être – sûrement même – nous ressortir des œuvres de cette même trempe à l'avenir...
...Seulement, en attendant, ça fait quand même mal de voir de plus en plus de films marqués du sceau de Luxo Jr. qui ne se réduisent au bout du compte qu'à des films standards, symboliquement maladroits, et ne sachant offrir sur le monde qu'un regard bas de plafond.
On aurait pu croire qu'avec un titre pareil, Élémentaire saurait faire camper Pixar sur ses fondamentaux.
Triste de constater qu'en définitive, il n'aura su que se montrer primaire et à côté de son Luxo...
Créée
le 28 juin 2023
Critique lue 3.4K fois
73 j'aime
22 commentaires
D'autres avis sur Élémentaire
Pixar n'avait plus parlé d'amour dans ses films depuis Wall●E. Soit depuis une éternité. A l'époque, c'était tendre et touchant, cela faisait plein de bruits mignons et le final émouvant aurait...
le 18 juin 2023
66 j'aime
5
La sortie de chaque nouveau film des Studios Pixar est accompagnée, quasiment depuis le début de leur domination sur l’animation mondiale (même si les fans de la Japanime, et ils sont nombreux, vont...
Par
le 28 juin 2023
17 j'aime
2
Malgré les dernières créations du studios qui n'ont pas toujours su briller, parfois allant dans de l’indécent vis-à-vis de leurs anciennes licences, Pixar a toujours eu le don de me faire voyager et...
Par
le 18 juin 2023
13 j'aime
Du même critique
Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...
le 27 août 2020
238 j'aime
80
Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...
le 20 sept. 2019
207 j'aime
13
Avatar premier du nom c'était il y a treize ans et c'était... passable. On nous l'avait vendu comme l'événement cinématographique, la révolution technique, la renaissance du cinéma en 3D relief, mais...
le 14 déc. 2022
161 j'aime
122