Gus Van Sant, s'inspirant stylistiquement du fascinant téléfilm Elephant d'Alan Moore, et aussi de l'œuvre entière, marmoréenne, du cinéaste hongrois Béla Tarr, livre sa représentation poétique d'un carnage ici purement abstrait, et non pas simplement ramené à ses faits sociaux ou moraux. Columbine ou une autre, son appréhension de la tragédie étudiante y questionne avant tout le mystère immense du passage à l'acte et de l'adolescence éternelle, iconique.

L'idée d'un paradis perdu, d'un Jardin d'Éden (bruits de la jungle, mélodies de chants d'oiseaux) perdus et détruits par la rémission de l'innocence, transfigure l'œuvre en une rêverie sensuelle et sensorielle. Les lycéens du film sont comme des figures graciles, sacrées, érotisées presque, martyrs d'une défection générale et étendue que Van Sant se garde bien d'expliciter ou d'interroger dans sa nature profonde (on suppose une absence de repères ou parentale, la solitude et l'ennui, la télévision et les armes).

Elephant est une élégie romantique et flottante qui compose superbement avec l'espace et le temps. Temps morcelé, fluide, réel ou suspendu, recomposé selon les points de vue, les minutes et les heures, et aussi selon l'espace du lycée, grand labyrinthe cérébral que Van Sant sillonne en longs travellings envoûtants, languissants jusqu'à une forme d'hypnose éparse, d'incantation visuelle. Puis, finalement, le rêve libre se métamorphose en cauchemar brutal, en tuerie sèche et irrationnelle qui fait frémir, et frissonnant l'échine quand la réalité s'impose à la peau, à l'émoi, agresse soudain dans sa terrible violence et inéluctabilité.

Elephant contemple un morceau du monde puis le conceptualise, le magnifie, le transcende au-delà de l'horreur sans y chercher un sens, un entendement sommaire ; son appréhension du massacre (et de l'avant) est principalement artistique, pleine d'une beauté automnale et diaphane qui s'éternise comme un souvenir absolument immatériel.
mymp
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le 8 févr. 2013

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