Conjuguer la barbarie par le mystère poétique

Dans "Elephant", Gus Van Sant peint en un geste pudique, impressionniste et profondément subjectif, plein d'une compassion bouleversante, le mouvement de la vie et de la mort d'une poignée d'adolescents, dans toute leur anodine - et superbe - liberté. Grâce au détachement et au sens de l'introspection avec lequel il regarde / donne à voir les faits (le massacre de Columbine) dans leur brutalité inexplicable, son questionnement absolu, voire "divin", se résout dans une solution "plastique", plutôt que par nos habituelles digressions philosophiques ou sociologiques. La beauté formelle du film, ses déstructurations temporelles, son évidence stylistique (jusqu'à ses plans de ciel "décoratifs") - souvent critiquées - cristallisent la décision courageuse d'un artiste de conjurer la barbarie par le mystère poétique. Si "Elephant" n'est peut-être pas le chef d’œuvre absolu que certains critiques ont voulu voir, il restera un immense bonheur de mise en scène (élégance, fluidité, et même pour utiliser un terme galvaudé, poésie du regard sur une adolescence à la fois perdue et charnelle). Les accusations de gratuité "auteuriste" portées par les plus réactionnaires, en particulier aux USA, paraissent tout autant dénuées de fondements, tant la froide chronique du carnage qui clôt le film apporte un regard juste (et d'autant plus terrifiant) sur l'existence du Mal absolu dans nos sociétés déboussolées. [Critique écrite en 2003 et 2004]

Créée

le 9 mars 2017

Critique lue 396 fois

6 j'aime

Eric BBYoda

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