Quand on parle de films de monstres, on évoque souvent les séries B aux effets spéciaux ambitieux, mais rarement Elephant Man. C'est pourtant bien comme un monstre que nous est présenté le personnage de John Merrick, dont la silhouette nous est d'abord suggérée, non sans un certain expressionnisme qui évoque les créatures horrifiques de certains vieux films tels que Nosferatu, puis tardivement dévoilée.
Mais ici, on ne parle en fait pas tant d'un monstre que d'un être sensible et humain. Rapidement, John Merrick est humanisé, et c'est précisément ce que David Lynch souhaite montrer, avec davantage d'émotion que dans la plupart de ses films. Il est vrai que Elephant Man dénote totalement de la filmographie du réalisateur, et est surtout un des ses plus intelligibles. Si son film précédent, Eraserhead, avait aussi quelque chose de monstrueux, on est quand même très loin de ce style cauchemardesque lynchéen.
Non, bien au contraire, Elephant Man est très facile à regarder, et même 40 ans après il parvient à saisir le spectateur et à le toucher profondément. Chaque parole de John Merrick - remarquablement interprété par John Hurt - devient poignante, et les larmes viennent toutes seules sans qu'on cherche à nous les soutirer.
Lynch prend certes beaucoup de libertés quant à la véritable histoire de John Merrick ; il ne s'agit pas là de romancer l'histoire, mais de la modifier afin de servir le propos du film : le discrédit et la déshumanisation des anormaux et l'acceptation de leurs différences. Dans ce film, Lynch inverse les pôles : ce sont souvent les humains qui se trouvent être les plus monstrueux.
Que ce soit avec le personnage de Bytes, dérangé, cupide et ivre au point de battre son « trésor », où à travers cette horrible scène grivoise de débauche durant laquelle John Merrick subit une des pires humiliations qui soient, les hommes sont ici bien plus monstrueux que ne l'est John Merrick, désireux d'apprendre, de discuter, de découvrir, de vivre.
C'est d'ailleurs comme un homme normal que celui-ci se couche dans son dernier soupir, s'offrant une mort symboliquement puissante tout en étant la plus douce qui soit, d'autant plus que Samuel Barber accompagne cet intense passage de l'une de ses plus belles pièces.
Finalement, on se rend compte qu'Elephant Man est bien un film de monstre, mais la laideur et l'abomination ne se situe pas toujours là où on pense au premier abord. Et ça, on s'en rend compte lorsqu'on apprend à écouter et comprendre ce qui nous apparaît comme un monstre.
On n'a vraiment peur que de ce qu'on ne comprend pas.
Guy de Maupassant, La Peur