Et dire que certains prétendent que le cas David Lynch relèverait de l'imposture cinématographique... Elephant Man démontre pourtant, et sans conteste, à quel point ils ont tort...
Effectivement, avec ce biopic au noir et blanc d'un classicisme classieux - en dehors du cauchemar introductif concernant le classicisme - je ne vois pas bien ce que l'on pourrait reprocher à son deuxième film qui d'après moi tutoie la perfection technique et surtout narrative. Il n'y a qu'à voir, enfin plutôt écouter, l'utilisation rare mais précise faite de la musique tout au long du film, du subtil et mystérieux thème principal à l'émouvant Adagio for strings final. Quant à la mise en scène, c'est un sans-faute.
L'histoire, tout le monde la connaît : c'est celle d'un homme terrorisé à l'apparence terrorisante (que le réalisateur nous dévoilera peu à peu) qu'un chirurgien finira par sortir des humiliations d'un cirque et des brutalités de son "propriétaire" pour le prendre sous son aile, d'abord par compassion, ou plutôt par pitié, puis par amour, peut-être, et par intérêt, toujours - il sera d'ailleurs le premier à le reconnaître... La bête de foire devenant malgré elle et malgré son "bon ami", une bête de boudoirs... Anthony Hopkins et John Hurt s'avèrent, impeccable pour le premier, sidérant pour le second. L'ensemble de la distribution se mettant à leur diapason.
Dès l'entame du film on se retrouve happés par le mystère planant autour de cet homme, par la bizarrerie qu'il incarne (son apparence est fidèlement reproduite par rapport à la réalité, ce qui rend le film encore plus poignant), et par l'instinct de voyeurisme des protagonistes, mais aussi du nôtre... Qui est-il ? Que ressent-il ? On aura beau finir par éprouver une empathie extrême pour le dénommé John Merrick, on ne saura jamais l'intolérable ignominie de ce qu'il a pu vivre ou ressentir au cours de ses vingt-et-une premières années...
Le docteur Treves s'avouera même espérer pour John - au début du film - que celui-ci soit suffisamment stupide pour ne pas trop souffrir de son état... Sauf qu'il comprendra vite être en présence d'un homme doux, intelligent, curieux, d'un apprenti-artiste n'aspirant qu'à être aimé, ou du moins à être accepté en tant qu'être humain, et non comme un monstre ou même un animal. Et d'ailleurs, sa sociabilisation semblera rendre sa vue moins insoutenable aux personnes averties. De toute façon, dans ce film, le plus terrible n'est pas l'apparence de John Merrick, mais bien la manière dont la plupart des gens le voient, le considèrent - leur monstrueuse cruauté surtout...
Bon, je ne vais pas indéfiniment tourner autour du pot, mais je n'avais pas revu ce drame depuis un bon paquet d'années... Et wow, je n'ai pas arrêté de chialer quoi... Trois fois à chaudes larmes, et notamment lors de cet épilogue bouleversant où John Merrick,
ayant terminé et signé son oeuvre d'homme (sa maquette), et après avoir été accepté en tant que spectateur de l'oeuvre d'autres hommes (l'opéra), dépasse à tout jamais son statut "d'oeuvre" injuste de Dieu, pour enfin s'allonger et rejoindre encore un peu plus une certaine idée de l'humanité dans un repos bien mérité... Parce que devant la mort les hommes sont tous égaux, et parce que devant la mort ils sont les mêmes...