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César de la meilleure apologie de la culture du viol

Si le sujet des violences sexuelles vous touche de près ou de loin, je vous déconseille vivement de voir ce film. C'est à vomir.

Le personnage principal, Michèle, jouée par Isabelle Huppert, se fait violer dès la première scène du film par un homme masqué qui s'introduit chez elle, puis elle reprend le cours de sa vie comme si de rien n'était. Soit. Il y a une multitude de manières de réagir à un évènement traumatisant, y compris un viol, et le déni en est une, relativement répandue d'ailleurs.

Elle nous est progressivement dépeinte comme une femme puissante, froide, et à la sexualité débridée. On pourrait alors se dire qu'il y a là quelque forme de féminisme. Mais loin s'en faut, car au delà de sa sexualité libérée, tout est fait pour qu'on la perçoive comme perverse, dépravée, dénuée d'empathie, et qu'elle n'inspire aucune forme de sympathie. Elle est voyeuse (et se masturbe en épiant son voisin avec des jumelles), possessive avec son ex-mari, froide et dure avec son fils, elle fait cocu sa meilleure amie, malmène sa mère parce qu'elle a des relations avec de jeunes hommes... Bref, elle est malaisante et ça reflète au contraire une vision très masculiniste de la femme puissante et libre. Par opposition, et alors que presque tous les personnages masculins sont détestables, le violeur (qu'on devine bien avant sa révélation) apparaît comme doux et sympathique, et tout est fait pour qu'on l'apprécie, lui. Bref la victime est détestable et son violeur est un type sympa, de quoi déplacer volontairement notre empathie à nous, spectateurs.

Elle n'avertit pas la police, et tente sans succès de retrouver elle-même son agresseur alors que celui-ci la harcèle par sms et en s'introduisant de nouveau chez elle en son absence.

Puis, il revient pour la violer de nouveau et elle parvient à lui arracher sa cagoule. Elle découvre son voisin, qu'elle draguait lourdement depuis un certain temps, le blesse et le fait fuir. Subtext : elle le draguait donc quelque part c'est un peu comme si elle l'avait provoqué et encouragé à la violer. Red flag.

S'en suit une espèce de jeu de séduction glauque entre eux, auquel elle participe activement. Subtext : le violeur est beau gosse donc c'est ok. Nouveau red flag.

Il la viole encore. Merci de nous imposer ça, encore. Mais cette fois à visage découvert alors qu'elle était chez lui avec son fils et qu'elle l'avait volontairement accompagné au sous sol voir sa chaudière (pourquoi?!). Elle lui dit même qu'elle est consentante (ba voyons) mais ça ne lui convient pas, ce qu'il veut c'est la violer. Effectivement.

Puis il revient chez elle cagoulé, la viole encore (oui oui, on en avait pas encore eu assez), interrompu cette fois par son fils qui le tue.

Paul Verhoeven semble prendre un plaisir pervers à nous imposer ces scènes de viol explicites, crues, et surtout répétées. Ca ne sert pas le propos, on se demande d'ailleurs quel propos cela pourrait servir puisque le film semble en être dépourvu, c'est juste gratuit et malsain. C'est peut-être ça le propos d'ailleurs.

Dans une des dernières scènes du film, on assiste à un échange lunaire entre la voisine (veuve du violeur et fervente croyante) et Michèle. La voisine lui dit en parlant de feu son mari (le violeur donc) : "Patrick était un homme bon mais il avait une âme torturée. [...] Sincèrement je suis heureuse que vous ayez pu lui donner ce dont il avait besoin, pendant un temps au moins." Comme si elle s'adressait à une femme ayant eu une aventure avec son mari. Alors qu'on parle de viols. Les mots me manquent. En gros c'était un type sympa et c'est pas vraiment de sa faute si c'était un violeur, c'est juste parce qu'il était mal dans sa peau. Et sa victime était là pour lui fournir ce dont il avait besoin. Belle conclusion de Paul Verhoeven à son film écoeurant, comme un résumé explicite de sa vision de la femme et de sa caution personnelle offerte à la culture du viol, au cas où les 2h qui précèdent n'aient pas suffit à le comprendre.

Et ce monsieur prétend que son film est féministe. Cruelle ironie. Surtout que s'ajoute à ce que je viens de dérouler, le fait que tous les personnages féminins sont des stéréotypes sexistes : Michèle femme puissante, froide et perverse, sa mère cougar friquée, son amie douce, naïve et cocue, sa belle-fille hystérique et castratrice, sa voisine grenouille de bénitier coincée. On est loin d'un panel même vaguement féministe, on est plutôt sur des clichés de macho à gros sabots.


Et cerise sur le gateau, mise à part tout cela, le film en lui-même est tout simplement mauvais !

Je ne m'attarderai pas beaucoup dessus car ça n'en vaut vraiment pas la peine mais c'est long et chiant (seulement rythmé par les scènes de viols, chouette), les personnages sont caricaturaux et sans profondeur, les dialogues sont risibles et dignes d'un porno, le jeu des acteur.ices est correct mais attendu, le scénario est creux, la réalisation pas spécialement originale ni créative, on ne s'identifie pas aux personnages, on ne ressent rien si ce n'est du dégoût... Et pour que ce soit un thriller, il aurait fallu au moins un peu d'angoisse ou de suspens, mais il n'y a rien, l'intrigue est cousue de fil blanc (on devine par exemple l'identité du violeur quasiment dès la première apparition du personnage).

En plus, les histoires parallèles à la trame principale sont inintéressantes au possible : le fils looser et cocu avec sa copine insupportable et leur bébé qui n'est pas vraiment le sien, l'ex-mari et son amourette, la boîte de jeux vidéos et son jeu lubrique, la mère et son gigolo, le père taulard tueur de masse, l'amant qui est un gros porc... Tout reste superficiel et anecdotique, rien n'est suffisamment développé pour susciter un quelconque intérêt.

En résumé, de la soupe tiède véhiculant une propagande toxique.

Si Paul Verhoeven a réussi quelque chose avec son film, c'est apparemment d'avoir su camoufler sa nocivité. C'est en tout cas ce que je choisis de croire au vu des critiques et de la note moyenne du film. Je préfère me dire que les gens sont passés à côté de la culture du viol distillée dans ce film plutôt que penser qu'ils y souscrivent.


Je trouve très problématique et même assez terrifiant que les personnes qui encensent ce film (critiques ciné et jury des césars inclus) ne s'interrogent pas sur les idées qu'il véhicule et dont il emplit nos imaginaires, et se contentent d'en parler comme d'un quelconque thriller psychologique. On ne parle pas ici de n'importe quel sujet. La culture influence ce que nous pensons et donc ce que nous faisons. Le cinéma, aussi fictionnel soit-il, a un impact sur le réel. Traiter un sujet aussi sérieux que le viol avec autant de perversion, en insinuant que cela pourrait s'apparenter à un jeu sexuel auquel participerait volontairement la victime, et dont elle serait même la provocatrice plus ou moins consciemment, c'est presque criminel, presque une incitation à la violence sexuelle. Et c'est en tout cas une manière de minimiser la responsabilité des violeurs.

Banaliser les violences sexuelles, c'est quelque part les encourager. Et quand on sait à quel point la culture du viol est déjà omniprésente dans notre société, a-t-on vraiment besoin d'en rajouter une couche en plébiscitant un film qui en fait l'apologie ?

paradoxism
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le 10 janv. 2024

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