Quoi que puisse en penser le distributeur français, l’homme dont il est question dans ce film d’Olivier Hirschbiegel, Elser (titre original) fut tout sauf un héros ordinaire. A l’origine de l’attentat à la brasserie Bürgerbräu de Munich (8 novembre 1939), Georg Elser voulait éliminer Hitler pour éviter que trop de sang ne coule. L’attentat a échoué, malgré une conception rigoureuse et un mécanisme parfaitement minuté. Hitler partit de la brasserie quelques minutes avant l’explosion, celle-ci ne faisant que des victimes de second ordre parmi les Nazis présents ce soir-là.
Ce que le film montre plutôt bien, c’est la personnalité et le parcours de Georg Elser, l’amenant à imaginer cet attentat. Le film montre l’ambiance dans laquelle il a évolué (relations sociales, sentimentales et professionnelles), sous la forme de flashbacks successifs présentés comme des bouffées de souvenirs de Georg, rapidement arrêté, puis interrogé (par Heinrich Müller le chef de la Gestapo et Arthur Nebe directeur de la police criminelle). Il endure la torture physique mais craque face à la torture psychologique. Hitler a donné l’ordre de mettre le paquet pour le faire parler, car il n’imagine pas Elser agir isolément.
Pourtant le film laisse de côté la conviction de certains qu’Elser avait un lien avec les anglais. Ici Georg (Christian Friedel) affirme n’avoir jamais été qu’un sympathisant du parti communiste allemand (KPD) alors qu’il y a adhéré en 1928/1929. Dans le film, l’arrestation est montrée comme un épisode anecdotique où Georg tente maladroitement d’expliquer sa présence devant un grillage. En réalité, il cherchait à franchir la frontière Suisse où il comptait demander l’asile politique. Pour cela, il gardait quelques éléments destinés à authentifier sa responsabilité dans l’attentat de Munich.
Bien entendu, avec le recul on peut voir en Georg Elser un héros ayant tenté l’impossible pour éviter le désastre meurtrier de la Seconde Guerre Mondiale. On peut également constater qu’il fallut une accumulation de nombreux points pour que Georg, bien qu’isolé, tente ce qu’il a osé avec son bagage professionnel (horlogerie, explosifs) et personnel. Malgré sa détermination et sa minutie, les circonstances furent contre lui, puisque ce jour-là, Hitler raccourcit considérablement son discours.
Si le film montre des événements qui ont marqué Georg pour lui faire prendre la décision de préparer cet attentat, il se concentre probablement trop sur son histoire d’amour avec Elsa (Katharina Schüttler). Cette histoire contrariée donne du piment au film, car elle captive le spectateur. Mais, a-t-elle tant d’importance que cela dans le parcours de Georg Elser ? En la romançant, le réalisateur court le risque que le spectateur la retienne comme le moteur principal du film.
Le film aborde (discrètement) une intéressante question : peut-on infléchir le cours de l’Histoire ? Évidemment oui, puisque toutes et tous contribuent à la marche du monde. Mais si Hitler est parvenu à ses fins (un temps), Elser non. La différence fondamentale à mon avis, ce n’est pas qu’Hitler avait l’Histoire avec lui, mais qu’il s’est arrangé pour rallier du monde à sa cause. Bien entendu, il a joué sur de nombreux tableaux (lui, le peintre raté) pour parvenir à ses fins, profitant des circonstances sociales notamment (reproche qu’Elser lui fait). Finalement, tout laisse supposer que Georg Elser a agi seul. Il faut beaucoup d’énergie pour s’opposer ainsi à la marche de l’Histoire, d’autant plus qu’un grain de sable peut enrayer une mécanique parfaitement conçue. Pourtant, Elser n’était pas le seul à sentir que les choses allaient mal tourner. Le film montre qu’il réussissait quelque chose de peu commun en conservant son opinion dans un milieu où cela était très difficile (refus du salut nazi lors d’une assemblée qui réagit en bloc). Il faut une puissance de caractère peu commune pour résister à une telle pression. Donc, non, Elser n’était pas un héros ordinaire. D’ailleurs, à qui peut-on le comparer ?
Reste le point très délicat des victimes qu’Elser ne visait pas dans l’attentat. Catastrophe psychologique pour Georg, une torture de chaque instant, probablement aussi difficile à supporter que la torture physique pour lui faire reconnaître les faits. On remarque d’ailleurs que cette torture est aussi difficile à endurer pour lui que pour la jeune femme qui fait office de greffière lors des interrogatoires. Bien entendu, les Nazis se montrent capables de comportements où il n’est plus question d’humanité, mais ce n’est pas un scoop. Pour enfoncer le clou (le peuple allemand n’en a visiblement pas fini avec son sentiment de culpabilité vis-à-vis du gâchis humain provoqué par cette guerre), le réalisateur de La chute montre l’exécution de Nebe et c’est glaçant.
Cas embarrassant, Elser a tardé à être reconnu comme Résistant. Il resta interné dans le camp de Dachau jusqu’en 1945. En un peu moins de 2 heures, Olivier Hirschbiegel lui rend hommage avec un film où l’émotion ne faiblit jamais, soutenue par des acteurs convaincants, donnant au spectateur de nombreux éléments pour comprendre ce qui s’est passé sans verser dans la facilité.