Le biopic, surtout musical, est l'un des genres cinématographiques les plus engoncés dans ses codes et ses tropes : découverte de l'artiste, route vers le sommet, déchéance, environnement familial, le tout rythmé par les tubes les plus emblématiques de l'idole.
Il faut donc se lever tôt pour innover. Ou proposer ne serait-ce qu'un regard original sur la statue du commandeur, pour que le public ne cède pas à une certaine lassitude. D'autant plus que Bohemian Rhapsody ou encore Rocketman, sont passés par là en termes de succès public récent.
Le nom de Baz Luhrmann, attaché au projet de biopic d'Elvis, a au moins le mérite de faire lever une oreille, tant le réalisateur s'avère synonyme de grandeur, de faste, de démesure. De rococo et de mauvais goût aussi, vous diront certains, en vous agitant sous le nez Moulin Rouge ! ou Australia.
Et si Elvis est légèrement plombé par sa durée, même si l'on se demande, après coup, ce qu'il aurait fallu laisser sur la table de montage, Baz a suffisamment d'atouts pour convaincre et faire de son Elvis Presley un biopic musical plus que fréquentable.
En poussant tout d'abord au premier plan de la narration la figure du Colonel Parker, son manager, personnage tour à tour truculent, sombre et affable. Un manager qui rejette immédiatement l'idée d'être le méchant de cette histoire tragique, de cette destinée sacrifiée.
Une figure de père de substitution qui séduit par son art de la débrouille, son bagout et ses origines circassiennes, faisant de lui un prince de l'entourloupe se rêvant illusionniste de haute volée.
Un impresario qui glisse inévitablement, sous la caméra de Baz Luhrmann, vers l'oiseau de mauvais augure, le rapace qui prend au piège l'artiste promis à un brillant avenir, qu'il faut enchaîner immédiatement pour mieux le retenir. Un rapace qui coupe donc les ailes de sa star.
Le Colonel Parker restera longtemps un mystère, mais c'est surtout un Tom Hanks métamorphosé, livrant une performance méphistophélique, un contrat faustien à la main et de mirifiques promesses aux lèvres, murmurant à l'oreille de sa star. Un monstre déformé par les prothèses et les goitres ne trahissant jamais mieux son fils que lorsque ce dernier performe sur scène.
En faisant ensuite de Austin Butler son Elvis, convaincant et fidèle à l'image du rocker. Et qui permet à Baz Luhrmann de donner libre cours à ses excès, capturant le magnétisme des débuts de carrière tonitruants, le démon de la danse qui s'empare de l'artiste et son déhanché diabolique faisant rêver les filles hystériques au fruit défendu.
Et si la frénésie de Baz Luhrmann rentre peu à peu dans le rang au fil de la projection, Austin Butler lui offre la sensibilité du King, un Elvis à fleur de peau, dopé, prisonnier de l'emprise de son mentor, un prince juvénile dépérissant, cloué au sol alors qu'il nourrissait des rêves d'envol que le Colonel a constamment réussi à anesthésier.
Une figure tragique qui rappelle, par instant, le précédent film du réalisateur, Gatsby le Magnifique.
Et une figure politisée, aussi, Luhrmann baignant son film de l'histoire dépressive des années soixante américaines, imprégnée du sang de ses figures de proue et leaders d'opinion.
Baz enflamme donc l'écran d'une richesse passionnante pour mieux embrasser sa star, pour mieux approcher son insécurité et sa mélancolie, proie idéale d'un impresario peu scrupuleux, qui aura livré sa poule aux oeufs d'or aux vertiges des balbutiements du star system.
Même s'il continuera de vous soutenir que ce n'est pas lui, le méchant de l'histoire.
Behind_Caught in a trap_the_Mask.