Lorsque l'on parle de cinéma d'action à la française, on a tendance à penser automatiquement à Jean-Paul Belmondo, synonyme de poursuites riches en tôles froissées, de fusillades et de coups de poings assenés avant ou après une bonne punchline (généralement délivrée par Michel Audiard). Mais quand est-il de l'après (soit le post Une chance sur deux) ? Beaucoup de bessonnades allant du sympathique (le premier Transporteur ou Danny the dog) au calamiteux, jamais aidées par des montages à la truelle. Quand le réalisateur ne s'y met pas lui-même avec des purges comme Anna (2019). Mais aussi des films d'action plus que solides, qui n'ont malheureusement pas fait des étincelles au box-office (cf Le Convoyeur de Nicolas Boukhrief, Le Serpent aux mille coupures d'Eric Valette ou Antigang de Benjamin Rocher). Parfois, certains tirent leur épingle du jeu comme les Largo Winch de Jérôme Salle (2008-2011), même si d'autres films sont plus proches du policier ou thriller agrémenté d'action (Les Rivières pourpres par exemple). Et enfin les catastrophes ambulantes.
Alors qu'un Fred Cavayé reste définitivement loin de l'action, on vient d'assister au retour
d'un revenant. Après une carrière dans le clip et un premier long peu vu évoquant les mineurs de Moselle (Une minute de silence, 1998), Florent Emilio Siri sortait l'uppercut Nid de guêpes (2002), remake non-officiel d'Assaut (lui-même remake non-officiel de Rio Bravo) qui s'impose comme le meilleur film film d'action français des 2000's et même peut-être de ce début de XXIème siècle. Si le film ne marche pas en France (362 876 entrées), Siri est repéré par Bruce Willis pour faire le sympathique Otage (qui ressemble plus à un vrai Die Hard 4 que le film de Len Wiseman), avant d'enchaîner avec L'Ennemi intime (2007), très bon film sur le sujet poil à gratter qu'est la Guerre d'Algérie. Les 2010's signent l'heure du changement de registre avec pertes et fracas. Si Cloclo (2012) est un excellent biopic, il ne fait pas non plus un score époustouflant au vue de l'aura encore actuelle de la star évoquée (1,7 million d'entrées). Quant à Pension complète (remake de La Cuisine au beurre sorti à la sauvette, malgré ses deux têtes d'affiche) et la série Marseille (2016 - 2018), on va éviter d'exploser l'ambulance (il les évoque même comme des commandes).
En 2022, le producteur Mathias Rubin (Möbius, Le Nouveau) vient le voir pour faire un nouveau film d'action, si possible avec Roschdy Zem. Siri dit banco, d'autant plus qu'il
avait envie de tourner avec l'acteur depuis longtemps et commence à cogiter sur des faits divers qu'il a lu depuis plusieurs années. Soit des princesses arabes qui se sont échappées avec leurs filles adolescentes ou les princesses mêmes, vouées à être mariées à de vieux messieurs pour des questions d'argent. A partir de là, Siri développe cette idée de gens constamment en fuite face à des membres de leur propre famille, capables d'envoyer des commandos venir chercher "leurs intérêts", quitte à faire des dommages collatéraux.
C'est là qu'intervient le fameux Elyas du titre. Siri aurait pu en faire un héros d'action classique en mode redresseur de tord, un peu à l'image du Denzel Washington des The Equalizer (une inspiration revendiquée de Siri). Ou alors un personnage revanchard à la Liam Neeson comme l'évoquait Première pour dézinguer le film de Siri. Le réalisateur choisit le contre-pied en allant davantage vers le John Rambo du film de Ted Kotcheff (1982). Comme le personnage joué par Sylvester Stallone, Elyas a un syndrome post-traumatique lié à une opération militaire ayant mal tourné.
La différence est qu'Elyas a des soucis mentaux très prononcés, revivant sans cesse le drame qu'il a connu (d'où des scènes où Roschdy Zem est filmé de loin, semblant parler tout seul), se focalisant sur des détails et vivant dans une paranoïa constante (il met un gilet pare-balles systématiquement). Siri prenant son point de vue, il va jouer sur sa perception des événements, au point de remettre en doute les actions du personnage. Le spectateur va donc se demander si Elyas est un psychopathe sans aucun état d'âme à la manière de ce que l'on peut voir dans Haute tension (Alexandre Aja, 2003) ou juste un homme d'action en mission.
Le réalisateur va alors opter pour deux scènes bascules : celle des écrans avec Dimitri Storoge ; puis celle de la caravane. Les deux scènes jouent sur des petits détails qui peuvent échapper au spectateur au premier abord. Si la première scène tient du classique de manipulation informatique, la seconde est un sacré moment d'action où le personnage dévoile une sauvagerie hallucinante sur des rythmes hindis. Mais là encore un détail change tout et à partir de là, le spectateur sera définitivement fixé sur la nature d'Elyas.
A l'image de l'Equalizer, Elyas est un ancien militaire et a donc une tendance à l'improvisation en fonction de son environnement. Certains objets autour de lui vont donc servir à tout moment, y compris les plus improbables. A cela rajoutez que Roschdy Zem est parfaitement crédible en homme d'action, semblant totalement à l'aise aussi bien au combat rapproché qu'aux armes à feu. Le climax est jubilatoire et sous tension ; évoquant aussi bien Mission Impossible 3 (sans les lens flares) que les The Raid (pour les scènes de couloir). La conclusion renvoie à nouveau aux films d'Antoine Fuqua (2014 - 2023), rendant curieux le fait d'associer le film à John Wick durant la promotion, Elyas n'ayant absolument rien à voir avec la franchise aux néons avec Keanu Reeves (Stahelski, Leitch, 2014 - 2023).
Si le projet fait penser un temps à Man on fire (idem pour Aka), le réalisateur s'en désintéresse rapidement, la vengeance n'arrivant que dans le dernier acte. En revanche, il développe une relation similaire entre Elyas, la mère et la fille, les deux femmes étant sans cesse avec une épée de Damoclès au dessus de la tête. Si Laëticia Eïdo est convaincante, c'est d'autant plus le cas de Jeanne Michel dont c'est le second film. La petite peste n'est finalement qu'une gamine horriblement seule et trouvant quelqu'un qui la comprend à travers son improbable garde du corps.
Elyas est donc un film sous influence, mais qui ressemble clairement à son réalisateur. Le film ne fait aucun cadeau à ses personnages, à l'image de ce que le réalisateur a fait par le passé (cf le casting de Nid de guêpes). Il opte pour des moments de violence radicaux, loin de la banale gerbe de sang. L'ironie veut que la chose la plus potentiellement dégueulasse (une tête coupée) ne soit qu'évoquée verbalement. Tout simplement parce que Siri n'a pas besoin de la montrer pour faire comprendre le trauma du personnage principal.
En résulte, un film d'action hautement réussi qui montre à quel point Florent Emilio Siri nous avait sérieusement manqué dans le domaine, voire tout court. Il rappelle aussi que la France peut encore signer des films de ce calibre pour un public large. Mais encore faut-il qu'il se déplace dans les salles françaises ou que les distributeurs fassent une promotion digne de ce nom.
Certaines anecdotes proviennent du Mad Movies numéro 383 (juin 2024) et de cette interview : https://www.youtube.com/watch?v=IqgZl4FFrmo