Sacré Jacques !

Le projet Emilia Pérez sur le papier c'est complètement fou. L'histoire d'un narco-trafiquant à la tête d'un cartel mexicain qui souhaite engager une reconversion et pas n'importe laquelle !

Ici on parle pas de reconversion professionnelle.. Non, non.

Mister Manitas del Monte veut changer de sexe. Il veut devenir une femme.

Idée à priori radicale que de prendre, sur cette petite Terre, ce que s'imagine être l'une des personnes les moins enclines à une reconversion de ce type (un mafieux mexicain, bordel !!) et tirer le fil à partir de là. Défi !

Et c'est pas tout, le Jacques Audiard en rajoute une couche en développant son propos sous forme d'une comédie musicale.

À partir de là, présenté de cette manière, il devient peut-être légitime de commencer à douter et de se dire que le projet part sur des bases plutôt risquées.


Oui mais, oui mais, oui mais non. C'est très bon. C'est écrit avec une précision de tous les instants (probablement indispensable pour que le propos reste cohérent durant les 2h10 du métrage), c'est toujours bien amené et l'ensemble tient merveilleusement la route. On peut encore une fois féliciter le Grand Jacques d'arriver, avec une trame aussi complexe, à sortir un travail d'une telle qualité.


On va pas cacher qu'on pouvait craindre qu'une proposition aussi folle, aussi audacieuse souffre potentiellement d'un trop plein, d'un côté too much. On pouvait légitimement craindre des scènes lourdes comme des briques, des péripéties improbables, des fausses notes dans ce récit plutôt hardu.

Et ben, c'est un peu tout l'inverse. Sans avoir l'air de forcer les traits, sans jamais en faire de trop, l'intrigue se développe avec assurance et on suit l'incroyable trio d'actrice formé par Zoé Saldaña, Karla Sofía Gascón et Selena Gomez dans les entremêlements de la proposition (Mention spéciale à Selena Gomez qu'on attendait vraiment pas dans un projet pareil).


Entremêlements car oui, Audiard déploie une énergie considérable pour rester centré sur l'histoire de ses personnages. Ici, pas de propos politique, pas de grande tirade sur la transexualité, pas de projet militant.

Il préfère dérouler son fil narratif, disséquant ses protagonistes, les mettant à nu, les poussant dans leurs derniers retranchements. Il nous entraîne avec eux dans les méandres d'une humanité complexe, troublée, troublante.


Et tout ça en chantant, en dansant s'il vous plait.

A ce propos, on retient la grande qualité graphique et esthétique de l'ensemble (comme toujours chez lui) avec ici un film densément coloré, lumineux, bourré de néons rouges, jaunes, verts, bleus.

On retient évidemment la multiplications de chorégraphies WTF, audacieuses, improbables, mystiques. En salle de bloc, au resto, dans la rue...

Et puis, pour finir, on retient le superbe titre Las Damas que Pasan, reprise tout en puissance de Passantes de Brassens qui vient, tel un point d'orgue, conclure cette proposition folle avant le grand jeu de massacre final cher à Jacques Audiard.


OVNI. Chapeau l'artiste.

evguénie
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le 22 nov. 2024

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evguénie

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