High Cruel Musical
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le 21 août 2024
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Je ne comprends pas. Il me paraît aberrant que l’on puisse soutenir un film au récit aussi infect. Emilia Pérez devrait être le catalyseur d’un crachat uni de tous les bords politiques et idéologiques (pour les bonnes et les mauvaises raisons). Et je ne parle pas des polémiques qui se multiplient autour du film depuis quelques semaines (même si j’y reviendrai sur une parenthèse ironique plus tard), mais bien de ce que nous propose la dernière œuvre de Jacques Audiard. Un réalisateur que j’aime pourtant d’habitude, de son bouleversant Un Prophète à l’original The Sisters Brothers, en passant par le plus mélo De Rouille et d’Os. Mais là ce n’est pas possible.
On nous propose de suivre le parcours de Rita, avocate en plein burnout moral, engagée par Manitas, chef d’un puissant cartel, pour faciliter sa transition en une femme, Emilia, et sa disparition de ce monde qui finirait par avoir sa peau. Sur le papier, les implications d’un tel changement de vie dans un tel contexte aurait pu donner lieu à d’intéressants dilemmes et retournements, à des situations impossibles et à des sommets de frustration émotionnelle. Mais rien de tout cela, car le film décide que si Manitas devient Emilia, alors cela efface tout son passé.
On nous vend que par la transition, les atrocités commises par ce boucher seraient expiées. Que les saloperies de Manitas, succinctement justifiées par un crétin “c’était la loi du plus fort, je n’avais pas le choix”, sont les faits d’une autre personne qu’Emilia. Mais changer de sexe n’implique pas de faire un reparamétrage usine d’une personne. Si demain je vous annonçais que Escobar, El Chapo, ou le Don Eladio de Breaking Bad étaient devenus femmes, vous penseriez vraiment que cela en ferait des anges repentis? Bien sûr que non. Et tout Emilia Pérez est bâti là-dessus, sur la résurrection d’une personne belle et radiante, le cœur sur la main, que l’on ira littéralement sanctifier dans un final d’une bêtise ahurissante.
Le postulat de la rédemption aurait là aussi pu marcher, car je pense effectivement que dans beaucoup de cas le pardon est préférable à la punition (voir la justice restaurative de Je verrais toujours vos visages par exemple). Mais cela demande un travail de pénitence, une période de réflexion, d’introspection, et des sacrifices. Emilia ne fait rien de cela. Elle n’a jamais purgé de peine, n’a jamais suivi de chemin de croix (autre que celui de la transition en elle-même dont je ne remet pas en cause la douleur engendrée, par les opérations et le mal-être, mais qui n’est ici pas lié aux crimes de Manitas), et s’est pardonnée toute seule, comme une grande. Sa métamorphose ne lui a rien fait perdre, gardant sa fortune acquise dans le sang, et retrouvant finalement ses enfants. Pire, elle se permet de jalouser son ex-femme et de la violenter, d’interférer dans sa vie avec l’aval du scénario. Le traitement de sa trajectoire est sidérant. Alors oui, finir sur une célébration de la vie d’Emilie enfonce le dernier clou dans ce cercueil décati. Une béatification sordide et explicitée telle quelle, sans sourciller, par Audiard en interview.
Suivre un salaud n’a jamais été un souci dans la fiction, tant que l’on ne nous demande pas de le prendre comme un héros salvateur. Rob Zombie est même parvenu à rendre pathétique une famille de serial killer dans The Devil’s Rejects. Mais ce sont des partis pris où le scénario est conscient de la torsion mentale et émotionnelle qu’il demande à son spectateur, où l’on cherche à créer le malaise ou la catharsis. Ici non, on est au premier degré.
L’ironie mordante du scandale entourant Karla Sofía Gascón et ses multiples tweets islamophobes et racistes déterrés ces dernières semaines ne pouvait mieux tomber pour illustrer la crétinerie du film. Une personne trans n’est effectivement pas de facto moralement pure, pas plus qu’une autre.
Alors on pourrait se dire qu’au vu du pedigree du cinéaste, il y aurait bien des éléments formels pour atténuer l’injure. Mais à peine. Si la mise en scène et le rythme se tiennent, que les acteurs sont bons et la photographie léchée, on ne peut pas dire que cela transporte vraiment. Outre le fait que s’accrocher à un film qui fonctionne sur un moteur empathique lorsque celui-ci est noyé dans la crasse est ardu, on ne peut pas dire que la partie musicale soit réussie. Les chants des acteurs principaux sont au mieux approximatifs, au pire juste irritants. Les morceaux, courts et nombreux, sont chorégraphiés sans astuce, exception faite de l’énergique scène du gala et son “El Mal”.
Zoe Saldaña est sans doute la seule véritable réussite du film, son jeu et son dynamisme étant les seules choses valables dans ce naufrage. La voir au sommet de son talent, hors du circuit des blockbusters et des grimages numériques (quand bien même j’adore Avatar) est réjouissant. Mais là aussi, l’empathie que l’on pourrait ressentir pour son personnage, plus “normal” qu’Emilia, ne prend pas. Elle se vend au plus offrant du début à la fin, et devient même la meilleure amie du bourreau (qui l’a tout de même faite étouffer) contre toute logique rationnelle ou émotionnelle. Un syndrome de Stockholm qui ne semble pas avoir été conscientisé par l’équipe du film.
Alors pour conclure, je pourrais tirer sur l’ambulance en évoquant l’amoncellement de clichés sur le Mexique qui fait grandement polémiquer là-bas, en traitant des sorties de route d'Audiard qui qualifie bien maladroitement l’espagnol de “langage de la pauvreté et de l’immigration” en plein contexte d’expulsions massives par Trump, ou en revenant sur le choix de ne caster qu’une seule actrice mexicaine au profit, par exemple, d’une Selena Gomez non-hispanophone. Je pourrais faire cela, mais ça serait un gâchis de mon temps et du vôtre tant le nauséabond du film se suffit à lui-même.
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