Le confinement et la fermeture des salles empêchent la sortie de nouveaux films ? Pas tout à fait. Cette situation aura au moins permis d’avancer la sortie d’Emma. sur toutes nos plateformes, après sa sortie au Royaume-Uni pendant la Saint-Valentin. Et autant vous le dire tout de suite, c’est mon film préféré de cette année 2020 qui, une fois n’est pas coutume, nous a déjà offert un beau début d’année.
I don’t trust words. I trust pictures.
Emma. est le premier film d’Autumn de Wilde, photographe de profession et ça ressent. La photographie est sublime, l’esthétique naturelle est à couper le souffle. L’expression « chaque plan est un tableau » entendue à tous les coins de rue même en période de confinement, a été inventée pour ce film. Mais le talent de photographe de la réalisatrice va au-delà de la plastique. Par exemple, l’utilisation ingénieuse de différentes focales appuie son propos. Selon la focale, les personnages sont maîtres de leur environnement, ou bien complètement engloutis pas le décor, afin d’exprimer leur désemparerent.
Comique Wes Andersonien
Cela faisait des années que je n’avais pas autant ri, surement depuis The Grand Budapest Hotel d’ailleurs. Littéralement chaque ligne de dialogue, chaque situation, chaque quiproquo est sujet au rire. Il y a presque quelque chose de Wes Anderson dans le rythme de la comédie, c’est le paroxysme de l’excentricité. Si on y prête attention, il y a même des conversations, qu’on entend à peine en arrière-plan (« How are the Chlidren » ? « Multiplying »), qui sont encore plus drôles. Chaque personnage est drôle à sa façon, je pourrais voir un spin-off entier sur littéralement une dizaine d’entre eux. J’ai rarement vu autant d’efficacité et d’inventivité dans la comédie, laquelle multiplie les styles, pour ne pas dire jamais.
Point à la ligne
Le titre « Emma. » se termine de façon inhabituelle par un point. Et ce n’est pas un hasard, selon les dires de la réalisatrices, cela permet d’insister sur le fait qu’il s’agit d’un « Period Movie » (Period pouvant aussi se traduire par point en anglais). Et ce genre si particulier correspond déjà à mon espace-temps favori au cinéma. Des ombrelles, des carnets de bal et des perruques à fenêtre. Je l’ai déjà dit, il ne m’en faut guère plus. Ces décors de manoirs, ces costumes ébouriffants et surtout le raffinement de l’époque force toujours mon émerveillement.
Little Woman
Emma. partage d’ailleurs de nombreux points communs avec Little Women, sorti plus tôt dans l’année (et sans surprise une énorme réussite à mes yeux). Les deux films sont basés sur des classiques de la littérature américaine dont on ne compte plus les adaptations. Deux romans écrits par des femmes, deux films réalisés par des femmes. On leur reprochera leur manque cruel d’enjeu et d’un côté je peux le comprendre. Mais ce manque d’enjeu n’est qu’un juste reflet de la société qu’il décrit. Si Emma. traite principalement des entremetteuses et des jeux amoureux, c’est parce que ces riches braves gens n’avaient à l’époque pas grand autre occupation. Cela rythmait leur journée, comme cela rythme ce film.
Mais si Little Women était une ode au combat féministe, en livrant un message pluriel sur l’émancipation de la femme, d’hier comme d’aujourd’hui, le personnage d’Emma est lui moins reluisant de premier abord. Elle est même assez antipathique, faisant passer ses intérêts avant les siens, incitant sa dame de compagnie (jouée par une géniale Mia Goth) à refuser un mariage heureux afin de ne pas la perdre. La grande force d’Anya Taylor-Joy sera de nous faire aimer son personnage, à laisser sa carapace se percer petit à petit. C’est un tour de force impressionnant.
Emma. est un donc un délice pour les yeux et surtout pour le moral. Sans être révolutionnaire, c’est un film nécessaire, un remède sans pareil à la morosité ambiante.