A l'aube de l'été 1974, le succès inimaginable d' Emmanuelle venait accompagner la libération des mœurs dans un parfum de scandale.
L'annonce d'un remake, cinquante ans plus tard, avait tout du casse-gueule, dès lors qu'il n'y a plus grand chose à libérer en 2024, tandis que l'odeur de soufre d'antan était évidemment impossible à encapsuler.
Il y avait aussi à craindre une sorte de prise d'otage, le hashtag MeToo étant passé par là, ou encore un certain ridicule, deux des mains à l'origine du scénario appartenant à Rebecca Zlotowski, dont la Fille Facile avait fait pouffer de rire le masqué.
Si quelques plumes apparemment sures de leur fait vous assènent ici que Emmanuelle, cuvée 2024 « n'exprime rien, n'apporte rien, ne sert à rien », émaillé qu'il est de « pitoyables moments d'érotisme » , l'oeuvre s'impose cependant comme un très curieux témoin de son temps.
Témoin, tout d'abord, de la tristesse de la chair aujourd'hui, irradiant les yeux de la charmante Noémie Merlant, son visage glacé, marquant sa hanche de stigmates. Une jeune femme solitaire, assumée, apparemment libérée mais, dans un même mouvement, lointaine, rechignant à sortir de sa zone de confort et évoluant entre les clients et le personnel d'un grand hôtel comme autant de fantômes. Elle arpente les couloirs vides, investit une architecture froide en forme de prison et évalue les prestations parfaites et autres apparats luxueux d'un œil détaché, appuyant la froideur du film qui ne se lâchera totalement que dans son ultime scène.
Témoin, ensuite, de la déconnexion des corps et de l'éloignement de l'étreinte à l'écran, rendant le film beaucoup moins sensuel et fiévreux qu'anticipé par le spectateur, surtout au regard du pouvoir d'évocation d'un tel titre. S'il était vain de vouloir retrouver les mêmes transgressions qu'en 1974, il est peut être dommage que la tension sexuelle ne soit pas vraiment présente. Mais de manière étrange, le rythme languide, parfois hypnotisant, participe cependant à faire ressentir un sentiment de douce frustration marquant le parcours de découverte de l'héroïne et le jeu auquel elle participe, en forme de « suis-moi je te fuis » que l'on n'attendait pas.
Témoin, enfin, d'un rapport au plaisir devenu ambigu et baigné d'une certaine lassitude, comme dans Crash, qui appuie l'aspect glaciale de l'approche adoptée par Audrey Diwan. Un plaisir qui ne passe plus nécessairement par le feu de l'action, mais souvent par le regard, les instants volés fascinants de la nudité d'un corps ou d'une union fugace, ou encore quand on s'offre à l'autre en spectacle.
A l'heure des comparaisons simplistes avec certains téléfilms coquins qui ont fait les belles soirées de la chaîne M6, Emmanuelle, aujourd'hui, semble presque nous faire comprendre que l'érotisme de naguère est définitivement passé de mode, tandis que cette triste époque a profondément transformé les relations sociales et l'imaginaire désormais délavé de l'intime. D'où la nécessité d'une quête, d'une reconquête que le film entreprend et met en images d'une drôle de manière, qui laisse apparemment, au regard de l'accueil glacial réservé, une bonne partie du public sur la touche.
Venant d'un film classé comme érotique, on pourrait presque dire que c'est culotté.
Behind_the_Mask, fesse'qu'it'plaît.