Voici le second film de la réalisatrice nigériane Chinonye Chukwu après « Clemency », un film sur le couloir de la mort aux Etats-Unis porté par Alfre Woodward en directrice de prison et qui montrait les répercussions d’une telle responsabilité sur la vie personnelle et privée. Sorti en salles au Québec et directement en streaming en France, c’est peu dire que ce premier film ne nous avait pas emballés, la faute à sa monotonie et une froideur émotionnelle rebutante. Difficile de croire que la personne qui a mis en scène ce magnifique et poignant « Till » soit la même. Car ici, le curseur de l’émotion est à son paroxysme et il est vraiment difficile de retenir ses larmes devant cette abominable histoire vraie, symptomatique du racisme extrême ayant cours dans les États du Sud par le passé. Et encore maintenant partout, comme le montre les actualités tous les jours. Une œuvre qui s’avère donc nécessaire, comme une piqûre de rappel concernant des droits élémentaires sans lesquels ce terrible racisme ordinaire et vénéneux pourrait encore accoucher de telles atrocités.
Totalement à l’opposé de son précédent film donc, Chukwu choisit de laisser passer toute l’étendue de la charge émotionnelle d’un tel drame sur son spectateur. Si, parfois, la très belle musique est peut-être un peu envahissante et que « Till » glisse presque dans l’excès de pathos, il se retient toujours au bon moment. Et le script du long-métrage a le bon goût d’éviter un voyeurisme mal placé et une certaine complaisance dans la violence. En effet, du fameux lynchage à l’origine de ce tragique fait divers, on ne verra rien. La cinéaste préfère montrer les aberrants faits dont il est l’absurde conséquence et surtout la découverte du corps d’un fils par sa mère, un corps proprement méconnaissable. Et à la faveur d’une mise en scène pudique, sobre mais efficace, grâce à un plan confectionné de manière fine et intelligente, on prend conscience de l’horreur de ce que ce jeune adolescent a subi. Remarquable. Tout comme le reste de cette œuvre puissante, réalisée avec beaucoup des meilleurs et des plus adaptés outils offerts par le Cinéma avec un grand C. Avec ses plans soignés, ses cadrages travaillés, mobiles et jamais gratuits, Chukwu sort son film des ornières du cinéma académique à l’ancienne avec beaucoup de talent et de brio.
Mais ce n’est pas tout. Si « Till » marque autant l’esprit et nous retourne le cœur et la tête, c’est aussi par la force d’interprètes touchés par la grâce. Si l’acteur qui joue le jeune garçon coche toutes les cases du gamin parfait, c’était peut-être pour encore plus nous interpeller, même si cela semble inutile au vu de l’horreur de cette histoire qui n’avait besoin d’aucun effet supplémentaire. Tous les autres seconds rôles sont impeccables mais la prestation de l’inconnue Danielle Deadwyler dans le rôle principal de cette mère éplorée est à couper le souffle. Toute l’émotion et le déchirement que l’on ressent passe par les expressions de son visage. Ses larmes, ses cris de douleur et ses regards en disent long et sont les vecteurs qui nous permettent de comprendre et d’appréhender ce que vit cette mère. Quant à l’état des lieux sur le racisme de l’époque et les ponts avec la nôtre, s’ils sont assez communs, ils semblaient nécessaires et ce pamphlet contre le racisme les présentent bien. Un grand et beau film sur le sujet, loin de toute démagogie ou didactisme, qui nous heurte et nous sidère mais le fait bien. Dans un sublime tourbillon d’émotions.
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