Empty Quarter (Une femme en Afrique) par Teklow13
Dans une chambre d’hôtel de Djibouti, un journaliste reçoit une femme. Plus tard ils partent tous les deux à travers l’Afrique.
Empty Quarter est la première fiction de Depardon. Pourtant le film repose sur le même système que ses documentaires. Le cinéaste traite la question du regard, de l’écoute, du langage.
Le cinéaste instaure un faux dialogue. Il y a la femme qu’il filme et lui qui reste en hors-champ. Elle vit, parle, bouge, dans le cadre, sous les yeux-caméra du journaliste-cinéaste. Lui observe, écoute, et recouvre les images de sa voix off relatant ses pensées. Il n’y a pas de réelle conversation ni interaction entre les deux, séparés par un écran immatériel.
Dans l’histoire du cinéma il y a très peu de films où l’on ressent fortement la relation de désir et d’amour entre un cinéaste et la femme qu’il filme. Quand ça se produit, ça donne quelque chose d’extraordinaire, qui passe essentiellement par le regard du cinéaste par l’intermédiaire de la caméra sur son actrice, mais aussi du regard-caméra possible en retour.
De mémoire je pense surtout à Godard qui filme Anna Karina dans Vivre sa vie, ou dans une moindre mesure Woody Allen qui filme Scarlett Johansson dans Match Point.
Dans Empty Quarter Depardon tente de recréer cet effet. Il brouille les pistes, crée une confusion entre réel et fiction, avec interpénétrations d’un l’un dans l’autre. Est-ce lui, Depardon, qui filme la femme qu’il désire ? Est-il en train de récréer une relation déjà vécue ou est-on dans une fiction totale. Au fond peu importe, le résultat est le même.
Empty Quarter est un poème sensuel, une ode à une femme qui s’entremêle à une ode à l’Afrique. « Je l’aime, mais je crois que j’aime encore plus le désert ». Il veut tout, elle, mais elle dans le désert, de sorte à avoir le cadre parfait, tout en prenant le risque de la perdre.
Depardon la filme à travers les paysages changeant, de train en train, de déserts en chambres d’hôtels perdues. Depardon capte une femme qui n’existe qu’à travers son regard et son désir. C’est une création, l’image découpée d’une femme vu par un homme qui en tombe amoureux et qui ne conserve que les fragments qui alimentent son désir.
Elle ne donne à voir que ce que lui retient. Et lui laisse échapper en off ce qui l’anime de l’intérieur. Son désir, son amour, son envie de la prendre, ses craintes de la voir partir,… C’est un film à la première personne, périlleux, car il s’agit de filmer à bonne distance, d’éviter le voyeurisme vulgaire.
J’ai trouvé ça sublime, et passionnant car pleinement un film de cinéma qui parle de cinéma, et à recentrer dans l’œuvre de Depardon.