En avant
6.8
En avant

Long-métrage d'animation de Dan Scanlon (2020)

Un quart d’heure de gloire… Et une heure et demie de Disney.

Une heure et demie avant de comprendre.
Une heure et demie avant de me rappeler.
Tout ce temps à attendre avant que, soudainement, cet « En Avant » me rappelle ce qui me fait d’habitude tant vibrer devant une production Pixar.
Ce n’est pas la performance technique.
Ce n’est pas la créativité visuelle.
C’est cette capacité, à un moment donné, de transmettre quelque-chose de fondamentalement humain.


J’aime Pixar quand il nous montre le regard attendri que prend Wall-E devant les pas de danse d’un gracieux Gene Kelly.
J’aime Pixar quand il parvient à nous résumer magistralement en deux petites minutes les joies et la mélancolie de la vie bien remplie de Carl dans « Là-haut ! »
J’aime Pixar quand il nous rappelle que derrière les vieilles mamies ridées se cachent aussi des petites filles qui se languissent de leur père tant aimé.


Et ce fut donc seulement sur un petit quart d’heure – situé à la toute fin du film qui plus est – que cet « En Avant » a su me rappeler ce genre d’instant ; a su me rappeler qu’il était un Pixar…
A cet instant ce film fut grand.
Il a su mobiliser intelligemment tout ce qu’il avait pris la peine de disposer pendant une heure et demie pour le mettre au service d’un acte symbolique et fort.
Un acte tendre et touchant.
Un acte d’amour.
Plus intéressant encore, un acte de noblesse humaine.


Alors oui : à ce moment-là ce film a su me conduire « en avant » et même au-delà.
Mais il a suffi de la toute petite conclusion qui s’en est suivie pour me ramener soudainement les pieds sur terre.
« En avant » ne peut se réduire qu’à ce petit quart d’heure de gloire, aussi touchant soit-il.
« En avant » c’est aussi tout le reste.
Un reste qui m’interroge beaucoup.
Et – on ne va pas se mentir – un reste qui m’agace vraiment.


Ce reste, il est fait de personnages terriblement clichés qui ne cessent de jacasser.
Il est fait de postures, d’expressions surjouées, de musiques mielleuses.
Il est aussi un étrange embrouillamini de discours qui nous parlent de rapport à l’Histoire, de danger des progrès techniques, de la marchandisation et de la standardisation à outrance de la société, du dévoiement des héros d’hier en esclave de la société de consommation d’aujourd’hui. Un vrai bazar foutraque dont le film ne fera d’ailleurs pas grand-chose…


En fait, de toute cette heure et demie de gloubi-boulga informe, un seul élément a su me surprendre dans le bon sens :


la paire de jambes paternelle qu’il va falloir se trimballer durant tout le périple.


C’était singulier. C’était paradoxalement assez riche de sens.


(Ce père qui est là sans être là et qui représente d’une certaine façon la figure du père malade et diminué ; un père dont on sait qu’il va partir mais qui parvient malgré tout à transmettre des petits moments de tendresse.)


Et surtout ça permet de poser des moments d’émotion simple mais forte.
Des moments « pixariens » comme j’aime à me les représenter.
Et à chaque fois que le film s’attardait sur cet élément, il me rappelait toute la vacuité du reste.
Toutes les boursouflures.


N’y avait-il vraiment pas moyen d’être plus créatif sur le visuel des personnages ?
N’y avait-il pas moyen non plus d’éviter cette sorte de maelstrom hideux et impersonnel qui nous rappelle n’importe quelle autre production flashy pour enfants ?
En somme n’y avait-il pas moyen d’être un peu plus… Pixar que Disney ?


Parce que oui – et c’est finalement ça le plus terrible –ce film m’a davantage fait penser à un film Disney plutôt qu’à un film Pixar. Et quand je dis ça, je ne pense malheureusement pas au meilleur que Disney puisse produire…
Et c’est bête mais ça m’attriste.
Ça me frustre même.


Parce qu’en fin de compte j’en tire malgré tout une impression plutôt positive de cet « En avant ».
Rien que pour m’avoir offert ce beau quart d’heure touchant – qui plus est en conclusion de toute une démonstration au fond assez bien organisée – j’en sors plutôt satisfait.
…Un peu comme si je ne repartais pas les mains vides.


Mais d’un autre côté, je ne peux m’empêcher de me dire que je suis trop conciliant avec ce film et avec moi-même.
Parce qu’on parle d’un Pixar quoi !
Dans ce studio, on sait éviter les pièges de la facilité d’habitude. On sait se montrer subtil.
On a des standards…


Là, je trouve que ces standards, il y en a quelques-uns sur lesquels on s’est un peu assis dessus.
C’était un peu comme si les gars se disaient : « ça va, au regard de la concurrence on ne se fout pas des gens… Eux aussi ils font du gloubi-boulga après tout… »
Et si d’un côté ce n’est pas faux de l’autre je trouve ça triste que Pixar n’aille pas plutôt chercher ses standards de comparaison chez lui-même plutôt que chez les autres.


Au fond ce film est un petit peu à l’image de son titre.
« En avant ».
Pas honteux certes. Mais pas suffisamment inspiré non plus.
Pas dénué de sens au regard de l’ensemble, mais pas suffisamment travaillé pour que son sens profond apparaisse comme clair, limpide. Évident.
« Quelque-chose de convenable » pourrait-on dire en d’autres mots.
Mais peut-on seulement se satisfaire de qualifier un « Pixar » de convenable ?…

Créée

le 4 mars 2020

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