L'usine Perrin à Agen va fermer en dépit de nombreux sacrifices consentis par son personnel. La direction de l'usine exhorte les ouvriers à accepter l'accord, argumentant un manque de compétitivité dans un secteur très concurrentiel. Le personnel va se mettre en grève et se lancer dans une guerre totale.
Après le très bon mais très déprimant La loi du marché, Stéphane Brizé nous livre un nouveau film "coup de poing" décrivant minutieusement la fermeture de l'usine Perrin et son "lâchage" par le groupe allemand Dimke qui la détient.
En guerre est une autopsie remarquable d'un processus dont nous entendons souvent parler dans la presse en espérant ne jamais être concerné. On peut reconnaitre au film de Stéphane Brizé beaucoup de qualités.
Attention, cette critique risque de vous spoiler.
En guerre est un film exhaustif et réaliste sur toutes les phases du démantèlement d'une usine. De la prise de décision du groupe relayée par la direction, confirmée par les tribunaux jusqu'au refus par la direction du repreneur - parce qu'il pourrait constituer un concurrent potentiel-, Brizé n'a rien omis dans son raisonnement à 360 degrés. Face à l'impitoyable logique des actionnaires et à la loi du marché, les ouvriers organisent la résistance, se mettant en grève, occupant les locaux du MEDEF et d'une autre entreprise du groupe. Pourtant, la stratégie du pourrissement et de la division va prévaloir. D'un coté, les ouvriers se mobilisent mais perdent leurs salaires, ils sont fragilisés tandis que les cadres dirigeants attendent "droits dans leurs bottes" que ceux d'en face ne se divisent.
Le pouvoir est aux mains des élites économiques.
En guerre est un film humain, montrant les divisions des syndicats jusqu'à l'affrontement physique ou comment un homme peut tellement douter et perdre pied qu'il décide d'en finir.
En guerre est surtout un film impitoyablement intelligent. La démonstration y est faite que le pouvoir est aujourd'hui économique et financier, les agents économiques s'appuient sur le dumping social pour faire baisser le coût du travail. Tout ce processus n'a cessé de monter en puissance depuis l'avènement de la mondialisation, la chute du mur de Berlin et la montée en puissance des unions économiques, Union Européenne en tête. Le pouvoir politique, et ses éléments de langages, n'est plus ici qu'un soin palliatif, un accompagnement formel en attendant la mort économique.
La réalisation du film est immersive, l'impression d'inconfort permanente pour le spectateur.
Ce film, aussi lucide qu'il n'est déprimant, bénéficie d'un bon casting essentiellement amateur, à l'exception d'un excellent Vincent Lindon qui interprète un homme cabossé par la vie, auquel l'acteur prête toute sa force et sa fragilité jusqu'à une fin tragique que personnellement je n'avais pas vu venir.
Le film bénéficie également d'une excellente bande originale de Bertrand Blessing.
On sort de ce film furieux, scandalisé, un peu résigné avec une furieuse envie d'envoyer balader tous les discours d'espérance de ceux qui nous gouvernent...
Ma note: 8/10