// En Guerre n’est pas mon favori absolu de cette 71ème édition du Festival de Cannes. Cependant, il est en salles en ce moment, et est celui qui reflète le mieux une réalité terriblement proche de nous. Chaque année, on parle d’un film nécessaire (sans doute pour éviter de dire politique). Cette année, ce serait plutôt Capharnaüm (Nadine Labaki, Prix du Jury 2018), mais on ne devrait pas oublier qu’il n’existe pas de “hiérarchie des problèmes“. Lorsque le cinéma se fait réaliste et qu’il le fait avec brio, il est important et ce peu importe le sujet. Enfin, les retours critiques sur le film sont forcément minés d’idéologie et certains oublient parfois de parler de la qualité cinématographique du film en lui-même (cf. l'article du Figaro, dont l’article a clairement été écrit par Serge Dassault en personne). //
La dynamique d’En Guerre le place à l’exact opposé du précédent “film social“ (c’est apparemment un genre) de Brizé° : lorsque La Loi du Marché dégoulinait de pathos et enfonçait toujours plus son unique personnage principal pour créer de la matière cinématographique, En Guerre est un formidable élan collectif dans lequel les personnages se tirent vers le haut. Les inévitables dissensions au sein du groupe de grévistes font partie intégrante de l’oeuvre, mais Brizé maintient le cap sur son sujet : l’étude d’un groupe et son opposition à un système, à une classe dominante économique.
Le groupe donne son énergie au film ; le background familial des personnages est brièvement évoqué, mais permet surtout de rappeler qu’ils ne vivent à ce moment que pour leur lutte. L’une des dernières scènes, sur la naissance du petit fils du personnage de Vincent Lindon, accolée à celle qui suit, illustre particulièrement bien cette idée du collectif avant tout.
En Guerre est une oeuvre d’une grande sincérité : il n’y a pas une once de pathos - seulement des faits - et on perçoit à chaque instant que par souci de réalisme, les dialogues n’ont pas été écrits. Le film explore les affres de la lutte syndicale, jusqu’à une conclusion des plus inattendues (spoiler : ce ne sont pas pas les grévistes qui gagnent, on a dit inattendu, pas miraculeux).
Pourtant sans repères chronologiques (on ne fait référence au président de la République que par son titre, etc), le film est parfaitement inscrit dans son temps à l’heure où le conflit social gronde. Autre subtil rappel réaliste, de vraies-fausses séquences télévisées (les logos BFMTV et France 2 font figures d’OVNI sur un écran de cinéma) s’intercalent entre les discussions des ouvriers pour souligner les ravages du traitement médiatique, autre thématique récurrente du film. En un sens, visionner En Guerre équivaut presque à ouvrir sa fenêtre pendant une manifestation, le sublime apporté par le cinéma en plus.
Vincent Lindon en fait probablement trop... il paraît que jouer est sa façon à lui de militer, on lui pardonnera volontiers. En réalité, En Guerre est peut-être un biopic non-officiel d’une version alternative d’Édouard Martin qui n’aurait jamais abandonné…
° : La Loi du Marché (2015), pour lequel il a reçu tous les honneurs - je n’ai pas vu Une Vie (2016, adaptation de Maupassant) et ne le prends donc pas en compte.
[Article publié sur mon blog.]
P.S. : Serge Dassault est mort le lendemain de la publication de cette critique. Je trouve ça amusant.
:-)