Un film social, très atypique et innovant dans sa forme. Pensez donc : Vincent Lindon (absolument remarquable dans son interprétation habitée d'un délégué syndical) est le seul acteur professionnel du film, tous les autres rôles - et ils sont multiples - étant interprétés par des amateurs qui jouent dans le film ce qu'ils sont dans la vie réelle. Et "En guerre" est monté avec de longues scènes pleines de monde, de bruit et de fureur, souvent violentes et passionnées, filmées en continu, séparées par des moments de transition plus courts, plus apaisés et parfois franchement intimistes.


Voilà pour la forme. S'agissant du fond, le film, cela tenant sans doute en partie à son casting, est d'un réalisme remarquable. Quasiment un documentaire. Je sais de quoi je parle, puisque je suis parfois confronté à ce type de situations dans mon boulot. Et on y entend des paroles, d'un côte comme de l'autre, qui sont très proches de celles qui sont prononcées dans la vraie vie (par exemple, cet amalgame permanent dans les discours des dirigeants d'entreprise entre compétitivité et rentabilité). Ajoutons à cela que le scénario intègre fort habilement des faits tirés de l'actualité sociale de ces dernières années.


En outre, Brizé s'est manifestement renseigné, puisque la procédure sociale (la fermeture d'un site) qui sert de trame à l'intrigue est parfaitement retranscrite, avec l'information des instances représentatives du personnel, la négociation des mesures d'accompagnement, le délai qui court...Il me semble que son idée est de montrer au public ce qui se passe réellement dans ce type de situation, au delà de ce que les médias peuvent véhiculer auprès du grand public. Car le film comporte aussi d'excellentes (fausses) actualités de BFMTV, qui a donc accepté de se prêter au jeu, courtes - bien sur - car c'est l'exercice imposé, sensationnalistes, et évidemment partiales (puisque c'est une télévision qui est contrôlée indirectement par Drahi). Et le contraste de ces actualités d'avec ce qui se passe sur le terrain est du coup parfaitement saisissant.


Après, le film est loin d'être manichéen, même s'il sera sans doute taxé de l'être par certains. Il expose simplement, de façon lucide et froide, les points de vue des différentes parties prenantes. Dirigeants d'entreprise qui veulent maximiser la valeur créée pour les actionnaires au service desquels ils sont, syndicats réformistes qui acceptent la fermeture d'un site mais s'attachent à négocier le meilleur chèque possible pour les salariés qui seront virés et enfin syndicats qui défendent avant tout l'emploi et veulent avant tout faire annuler le projet de fermeture du site. Points de vue irréconciliables s'agissant des premiers et des troisièmes.


Et Brizé met bien le doigt sur le fait que, si actionnaires et dirigeants sont parfaitement unis, leurs interlocuteurs syndicaux sont divisés. Comme dans la réalité, et bien entendu cela constitue un handicap certain. On notera d'ailleurs, qu'à l'instar de BFMTV, les principales organisations syndicales, mais aussi le MEDEF, ont accepté de collaborer au film...Enfin presque, car il manque une organisation syndicale, remplacée dans le film par un syndicat maison, le SIPI. Il est vrai que l'organisation syndicale en question n'aurait sans doute pas eu le beau rôle, on peut donc comprendre son refus...


Le film pose néanmoins la question de la lutte, des classes, et du fait qu'elle soit devenue parfaitement inégale. Face des dirigeants qui sont dans la légalité et ont le souci d'y demeurer, les syndicats n'ont guère comme seule possibilité de recourir, une fois la sollicitation des politiques épuisés (très rapidement, car comme cela est rappelé par un conseiller de l'Elysée, la liberté d'entreprendre est inscrite dans la constitution), à des actions d'éclat dont ils espèrent qu'elles seront médiatisées. Mais c'est finalement un sentiment d'impuissance qui prédomine. Car toutes ces actions d'éclat sont réalisées sur le fil du rasoir, en quelque sorte, et peuvent se retourner contre ceux qui les mènent. Surtout lorsque c'est BFMTV qui les rapporte.


En conséquence, c'est, je crois, en définitive toute la question de la désobéissance civile qui est posée par le film. Pour une conclusion en guise de mise en perspective, rappelons l'article 35 de la constitution de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».


Ajout du 7 janvier 2019
Avec le recul, et l'éclairage de l'actualité du moment, il m'apparait que la dramatique scène finale du film sonne avant tout comme une forme de constat désabusé du fait que le syndicalisme classique est devenu impuissant à obtenir plus de justice sociale. Les syndicats étant pour la plupart devenus des rouages - et non plus des grains de sables - dans les machines institutionnelles qui tendent à broyer la vie des gens du peuple. Cela en dépit de l'engagement admirable dont font preuve leurs membres sur le terrain, engagement magnifiquement incarné dans ce film par Vincent Lindon. Mais engagement qui en définitive ne parvient guère à sublimer une impuissance que l'on ne peut hélas que constater, dans le film comme dans la vie réelle.


Toutefois, l'article 35 de la constitution de 1793 que je citais en conclusion de ma critique en mai 2018 tourne beaucoup sur les réseaux sociaux en ce moment....

Marcus31
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le 20 mai 2018

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Marcus31

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