Déjà l'auteur d'un drame historique gentillet, sur un acte de fraternisation de soldats français et allemands au cours de la Première Guerre Mondiale ("Joyeux Noël"), Christian Carion récidive en revenant sur un épisode traumatisant de notre histoire, l'exode de millions de Français sur les routes au printemps 1940 lors de l'offensive germanique.
Un choix d'autant plus pertinent que cette période sombre reste très peu abordée au cinéma, sorte de tabou collectif qui méritait amplement qu'on s'y intéresse sérieusement.
Hélas, le traitement du film n'est pas à la hauteur de son sujet.
Rien à dire sur la reconstitution (décors, costumes, accessoires) qui nous plonge de plain-pied dans ce tumultueux mois de mai 1940 : on compatit à la panique, la peur, l'angoisse de tout quitter de ces villageois jetés sur les routes pour échapper à la Blitzkrieg.
Mais à la fin du film, on a l'impression d'avoir survolé les évènements, dans une œuvre qui manque de chair et de souffle. A-t-on vraiment ressenti la peine, le désespoir, l'horreur sur des visages marqués au fer rouge? A-t-on partagé en pensée la fatigue et la douleur de ceux qui furent nos parents ou grand-parents?
La faute en incombe notamment au scénario de Christian Carion, qui flirte constamment avec le hors-sujet, faisant la part belle à la recherche de son fils par un jeune allemand, dissident du régime hitlérien et réfugié en France depuis quelques mois. Tout un arc scénaristique est consacré au parcours de cette homme, depuis son évasion de la prison d'Arras et sa rencontre avec un officier britannique, nous coupant sans cesse du groupe de villageois.
De plus, ce choix d'axer le récit sur un bambin orphelin de mère et séparé de son père laisse la désagréable impression de rechercher le pathos à tout prix. Un certain nombre de scènes apparaissent caricaturales (le cinéaste chargé de la propagande) voire carrément tire-larmes (Max est-il mort?).
C'est d'autant plus regrettable que la mise en scène de la violence et de l'horreur, souvent en hors champ mais pas occultée, était parvenue à éviter cet écueil du misérabilisme.
Autre bémol, "En mai, fais ce qu'il te plaît" a beau ne pas excéder deux heures, on s'y ennuie assez régulièrement, à cause d'un rythme hasardeux et d'une mise en scène plus mollassonne que réellement contemplative. D'ailleurs j'ai trouvé la musique d'Ennio Morricone assez impersonnelle, même si le contexte exigeait un certain classicisme.
Heureusement, il y a les comédiens pour donner un peu d'épaisseur à des personnages à peine esquissés, trop peu pour ressentir une empathie spontanée à leur égard.
Olivier Gourmet incarne avec charisme un maire autoritaire mais humaniste, républicain convaincu et forcément désabusé au fur et à mesure de la débâcle.
Mathilde Seigner se montre cette fois sobre et juste, tandis qu'Alice Isaaz apparaît comme toujours lumineuse, éclairant de son talent les scènes auxquelles elle participe, même si son personnage souffre d'une écriture incertaine.
Je suis moins convaincu par August Diehl, acteur allemand à la carrière internationale, et quasiment le personnage central du film.
Quant à Laurent Gerra, l'humoriste s'en sort très bien dans son petit rôle de péquenot franchouillard porté sur la bouteille.
Au final, "En mai, fait ce qu'il te plaît" laisse un sentiment très mitigé : j'ai envie de le conseiller malgré tout, tant la force de son sujet le porte et le dépasse, mais on regrettera vraiment le traitement gentillet et superficiel du récit, car il y avait matière à faire un grand film historique et populaire, plutôt que cette sortie en catimini assez étrange.