François Cluzet et le talent sont à bord d'un bateau. Le talent tombe à l'eau. Qui reste-t-il ?
Une partie du cinéma français se fait entre copains, c’est bien connu. C’est le cas dans la petite bande de Guillaume Canet. S’il n’est en effet pas réalisateur d’En Solitaire mais ne fait que jouer dedans, c’est bel et bien son directeur-photo, Christophe Offenstein, qui hérite de la tâche. Pour compléter le trio, citons évidemment François Cluzet, héros de notre aventure maritime. Nous voilà-donc à bord du bateau DCNS lors du Vendée Globe. Espérons par ailleurs que vous appréciez DCNS, parce que son logo est omniprésent dans le film, sorte de pub ambulante. Passons, nous y reviendrons plus tard.
L’idée d’avoir Cluzet seul contre l’océan, littéralement en solitaire, était intéressante, surtout au vu des images possibles. Malgré une introduction lourdingue et un générique télévisuel (notamment à cause d’une musique lambda et ridiculement « good-feeling »), on se dit « après tout, pourquoi pas ? » à l’idée de cette aventure. Et là, c’est le drame. En Solitaire devient alors le titre le plus mensonger depuis longtemps : François Cluzet a embarqué à son insu un passager clandestin. Dès lors, aucun doute : on se retrouve bien en présence d’un film formaté de bout en bout, politiquement correct à souhait et nauséabond dans son overdose de bons sentiments. Tout le film est prévisible tant son schéma est éculé et ne propose aucune originalité ni subtilité. D’une relation aux débuts difficiles va naitre de la tolérance, de l’amitié et de la gentillesse. Vous connaissez l’histoire. Toute la sincérité du caractère obstiné et jusqu’au-boutiste du personnage de Cluzet est gangrénée par la prévisibilité de l’aventure. On sait que ce guerrier de la mer parfois désagréable (et tant mieux) va se transformer en guimauve flottante. On souhaite secrètement, à plus d’une reprise, voir François Cluzet faire passer par-dessus bord l’intrus en question. Soyons honnêtes : il y a tout de même de quoi douter des motivations d’un type entreprenant le tour du monde en solitaire à être un gentil samaritain bienveillant. En Solitaire, c’est Welcome sur un bateau.
Le problème du film est que tout s’articule autour de la relation entre François Cluzet et le fameux clandestin. Jamais on ne ressent réellement le danger de la traversée ou même ce qu’elle implique physiquement, mentalement. Si Cluzet fait parfois face à des difficultés, rien ne demeure véritablement un péril. Dans Rush, Ron Howard exposait vers le début de son film le péril constant que représentait le sport à travers l’accident mortel d’un pilote. Lors du seul accident mis en scène dans En Solitaire, aucune notion de danger n’en ressort. Et ce d’autant plus que dans quelques mois sort All is Lost sur nos écrans qui lui n’hésite pas à développer le caractère périlleux de l’océan. On pourra toujours nuancer cela dans la mesure où le personnage de Cluzet est un professionnel (à contrario de celui d’All is Lost qui est un amateur), mais rien n’empêche non plus d’en faire tout de même un peu baver à un professionnel (surtout que Cluzet interprète un remplaçant, le navigateur du bateau étant normalement le personnage de Canet).
Les phases en pleine mer sont également paralysées par le manque d’inventivité du réalisateur. Si plusieurs plans au début paraissent sympathiques (en même temps, avec un tel décor, il aurait tout de même fallu le faire exprès pour rater tous les plans), Offenstein duplique son dispositif de mise en scène pendant tout le film. Les angles de caméra sont répétés jusqu’à saturation, rien n’évolue, la notion de rythme dans le découpage est absente. A nouveau, difficile de ne pas entreprendre une comparaison avec All is Lost qui jouit de toute l’intelligence et l’inventivité de la mise en scène de J.C. Chandor, son réalisateur. Dans une certaine mesure, on ressent qu’Offenstein est directeur photo et non réalisateur. Si les images d’En Solitaire essayent d’être soignées, notamment grâce à la photographie de Guillaume Schiffman (The Artist), on ne peut s’empêcher de penser parfois à une esthétique de pub Quechua portée à l’échelle cinématographique (pour DCNS). Les phases à terre sont d’un plan-plan rare et rendent d’autant plus hétérogène un rythme déjà fébrile.
En Solitaire, c’est aussi des acteurs en roue libre. François Cluzet en tête de liste, évidemment. Le comédien, pourtant sympathique et capable de bonne performances, est tellement à fond dans son rôle qu’il en oublie (avec l’aide d’une direction d’acteur aux abonnées absentes) toute mesure. : il surjoue à grand cœur. Difficile de défendre le casting du film, des clichés du personnage clandestin dont l’interprétation de Samy Seghir ne fait qu’aggraver les choses à la désormais traditionnelle absence de crédibilité de Guillaume Canet. Difficile également de croire en Virginie Efira (la femme du personnage de Cluzet) ou encore dans sa fille qui bénéficie probablement de la plus mauvaise direction d’acteur enfant de l’année. Notons tout de même les sympathiques apparitions de Jean-Paul Rouve.
Vous l’aurez sans doute compris, En Solitaire est un échec conséquent. Difficile de se montrer clément avec le film qui pourtant a un thème (le tour du monde en solitaire) et des moyens permettant de délivrer quelque chose ayant de la gueule. Offenstein n’hésite d’ailleurs pas à commettre une ultime faute de goût en incluant la chanson Knockin’ on Heaven’s Door de Bob Dylan à la fin de son métrage. Originellement composée pour le chef-d’œuvre de Sam Peckinpah, Pat Garrett & Billy le Kid, les valeurs bisounours d’En Solitaire sont tellement à l’opposé de celles de Sam Peckinpah et celles de la mélancolie de la composition de Bob Dylan qu’on ne peut que mal prendre un tel choix, utilisé probablement juste parce que « ça sonne bien ». Amateurs de virées maritimes, attendez plutôt All is Lost, car En Solitaire s’est embarqué en pleine mer en laissant son intelligence à quai.