Film de la dénonciation politique, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon de Elio Petri se pose comme le mauvais garçon de ce cinéma de renouveau italien. Sorti en 1970, arrivant après les dégringolades politiques et les attentats de la fin des années 1960, la montée en puissance des mouvements sociaux marque l’occasion pour le cinéma italien d’invoquer des œuvres plus satiriques envers la politique du pays.


La trame du film raconte la recherche du meurtrier d’une jeune femme menée par le tueur lui-même qui n’est autre que le commissaire de police. Si le pitch de base est simpliste, il se retrouve complexifié par le double jeu que mène l’anti-protagoniste aspiré à la fois par sa conviction d’être placé au-dessus de tout soupçon dans la hiérarchie sociale et dans son besoin d’en prouver le contraire. La subtilité de ce personnage flirtant avec la schizophrénie se retrouve dès le commencement du film, alors que la scène d’introduction se révèle comme un doux fantasme entre les regards provocateurs et les draps soyeux posés là comme pour cacher l’intimité secrète à laquelle vont se livrer les deux amants. C’est cette façade somptueuse qui va être violée au moment de l’orgasme sanglant, où l’on commence à comprendre l’empreinte fétichiste de ces rapports sexuels.
Toute la mécanique autour de cet incipit inopportun se révèle à mesure de structuration de flash-backs afin de créer un motif réaliste à l’issue de cette relation sadomasochiste. Celle-ci se définit au travers de gros plans révélateurs (parfois un peu poussifs) sur le visage flou de la jeune femme prenant son plaisir à souffrir, ou lorsqu’elle sexualise sa conversation en glissant le combiné téléphonique entre ses jambes.


Tout comme le jeu politique, celui du commissaire est double lorsqu’il décide de mettre en œuvre son plan, il dérobe ironiquement à sa victime le champagne qui lui servira de récompense de retour au poste de police pour fêter sa promotion en tant que chef de la section politique. Cette facilité qu’il a à assumer son crime devant ses camarades en faisant passer la confession pour une blague est symptomatique du mental ambiguë du personnage prêt à aller au plus loin pour se prouver à lui-même une intime conviction. Ainsi convaincu de son immanquable réussite il est le personnage de la déstabilisation juridique, immunisé contre les attaques, les dénonciations des autres ou même ses propres aveux. Dans un face à face avec l’ennemi politique, l’universitaire belligérant, il n’hésite pas à malmener le jeune homme qui représente les idéaux de la jeunesse et du renouveau jusqu’à le mettre à quatre pattes, le soumettre à son flegme. Cette scène crée un écho terrible dans ce qu’elle satirise comme dans la place qu’elle prend sarcastiquement dans la trajectoire narrative du personnage qui finira lui aussi maltraité sur ses quatre membres, forcé à devenir l’innocent qu’il n’est pas car il représente une caste politisé intouchable, à la limite de la dictature.


Cette domination du groupe policier, chien de garde de l’état, se présente par les discours rappelant par moment ceux du Duce ainsi que par les visuels très droits et autoritaires que la mise en scène réalise. Le contrôle de la population s’effectue à l’aide d’une technologie de tri, qui sonne alors comme l’élément dystopique fort de ce film mais qui semble aujourd’hui pourtant instauré comme une norme de société. Il s’agit donc d’un monde où l’abolition de la révolution est menée par l’organe vital de l’état, le pouvoir exécutif et judiciaire de la police sublimé par son contrôle des médias et des informations.


Dans une mise en scène menée avec puissance évocatrice, la musique d’Ennio Morricone permet d’élargir le phénomène de suspens et de détournement de morale qui règne aussi bien dans l’ordre social que dans la psychologie du personnage. On se retrouve forcé d’épier, là où tous les cadres choisis semblent mettre le spectateur à la place du fétichiste voyeur qui se permettrait de reconstituer des crimes dans un univers photographique. L’atrocité apparente ici ne permet que de souligner le délit politique qui s’établit dans une situation équivoque, il met en puissance le ton amer d’une politique basée sur le pouvoir des élites et sur la répression. De quoi nous laisser pensif ces temps-ci quand certains pensent pouvoir commettre tous les crimes impunément.

Louis2Sousa
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le 13 févr. 2019

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Louis De Sousa

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