Une ambulance fend la nuit autrichienne à toute vitesse avec à son bord une femme blonde dans un sale état (Theresa Russel), et un type avec une tête d'oiseau tombé du nid (Art Garfunkel, le ménestrel !) à son chevet avec un air indifférent.
Une fois les portes des urgences franchies, Alex - c'est le nom du type dans l'ambulance - répond sans trop s'étendre aux questions des agents de police autrichiens. Puisque la thèse du suicide ne semble pas convaincre tout le monde du côté des condés. La suite est un sombre récit entrecoupé de flashbacks, plutôt bien amenés nous éclairant sur les événements qui ont abouti à cette nuit tragique. Un peu à la manière d'un Sautet (un mélange entre Les choses de la vie et Lune de fiel de Polanski), Roeg analyse de manière crue cette histoire passionnelle, non sans prendre un peu trop son temps parfois.
Mais commençons par le plus important : le couple. Elle, éprise de liberté, érotique et alcoolique, lui, professeur de psychanalyse, sérieux & exclusif. On comprend vite que les choses de la vie vont mal tourner.
Et le choix curieux d'Art Garfunkel pour incarner un amant s'avère payant. Parfois mal assuré et parfois totalement dans le ton dramatique voulu, il est au final très crédible, et l'image de ses bouclettes triturées lors des questions de la police devient entêtante. On le voit au début comme une erreur de casting, à quel moment ce Pierre Richard du Greenwich village peut séduire une déesse comme Milena ? Et au fil des minutes, il gagne en épaisseur jusqu'à devenir aussi flippant qu'Augustin Shackelpopoulos dans un DAVA. Theresa Russel est plus impressionnante encore, elle commence sa carrière en jeune poupée aux longs silences et au regard intense dans Le récidiviste, et se mue ici en bombe sexuelle fragile avec une conviction sidérante.
La force du film est de nous faire assister à l'évolution de ce couple en déroute et à nous faire changer de perception au fil du récit. Alex semble incarner la raison, il est structuré, et s'y connait en relation toxique, n'a-t'il pas caractérisé les stalkers obsessionnels comme des conservateurs ? Milena est volage, incapable de se tenir à une simple relation, refusant de divorcer d'un mari trop vieux dont elle ne se satisfait pas... Tout cela va s'inverser d'ici la fin du film pour nous exposer la vérité : Alex est monstre égoïste, un psychopathe sexuel dénué de compassion, et elle est sincérement éprise de lui malgré les apparences, car c'est bien lui qu'elle appelle avant de tenter de se suicider.
Roeg propose un film très singulier malgré le sentiment de déjà vu inévitable inhérent à ce genre d'enquête (on peut aussi citer Garde en vue, la référence en matière de film d'interrogatoire). D'ailleurs, on pourrait facilement prendre du mauvais pied son cinéma. La faute à Don't look now, incompréhensible film culte recommandé jusqu'à plus soif malgré ses indéniables effets soporifiques. Il s'avère que Roeg est un cinéaste bien plus habile et sensible qu'un Ken Russell, pour citer un autre cinéaste anglais à la mode de la période. Et le dernier tiers du film qui achève l'intrigue policière prend le spectateur aux tripes, bien plus que les torrents de sang et d'outrance du réalisateur des Diables.
Sans compter que l'enquête policière aussi poussée dans un tel cas de figure semble peu crédible, et s'avère au final dispensable. Elle nous aura au moins permis de voir Harvey Keitel, en flic retors. Malgré cette étiquette, il n'a jamais autant ressemblé à Frédéric Lefebvre.
Les points négatifs : certaines longueurs susmentionnées et un choix curieux et archi symbolique pour la musique (le "who are you" des Who).
À noter l'extrême ironie morbide qui a frappé Art Garfunkel puisque sa petite amie, l'actrice Laurie Bird s'est suicidée dans leur appartement New-yorkais pendant le tournage du film. Bad timing en a dérouté plus d'un à sa sortie, critiques comme distributeur, pusiqu'un cadre de la production déclara : "c'est un film malade, fait par des malades pour des malades".
Bad timing a gagné depuis un statut culte (assez mérité).