Le dispositif narratif est simple : c’est celui de La Ronde, de Max Ophuls - 12 histoires de couples glissantes, l’un des deux protagonistes étant dans la suivante, qui introduit un nouveau personnage. Un regard passablement pessimiste sur l’amour de nos jours, le mensonge et la manipulation dominant la plupart des scènes. Bien souvent, un personnage en situation de force dans la première scène va se retrouver en faiblesse dans la suivante.


La première donne d’emblée le ton : deux amants qui trompent chacun leur conjoint. Mais là où le garçon n’y voit qu’une occasion de passer du bon temps, la fille pressent confusément que ce n’est pas « si simple » que ça. C’est un peu ce que va s’employer à montrer le film, qui s’achève d’ailleurs sur cette question : « pourquoi ce n’est pas plus simple ? ».


La deuxième scène - la moins convaincante du point de vue des acteurs - montre jusqu’où peut aller le culot de celui qui ment. Elle introduit aussi la notion de domination. Le rapport de forces dans ce couple est clairement déséquilibré - on a d’ailleurs l’impression que cette femme pourrait être sa mère, assez troublant mais cela nuit à la crédibilité de la scène.


Cette idée de domination est poussée dans la scène suivante, avec la notion de « loi du marché », que Stéphane Brizé reprendra dans son film éponyme. Il a l’intelligence de ne pas pousser trop loin le bouchon (la femme ne passe pas sous le bureau !), ce qui sauvegarde le réalisme du film.


Le dominant devient dominé dans la cinquième scène, avec la prostituée. A la violence insidieuse du monde du travail, succède celle plus frontale de cette fille de joie guère joyeuse.


Qu’on retrouve monnayant ses services d’une autre manière... Dans cette sixième scène, brillamment interprétée, Brizé suggère, avec humour, que même les discours passionnés, tendres, loin de tout arrière-plan sexuel, peuvent n’être que faux-semblants.


Changement de registre avec la scène suivante, du Scrabble. Là, c’est la frustration sexuelle qui est abordée, frontalement. L’infidélité toujours, c’est le fil rouge du film, mais pour faire réagir celui dont le désir s’est éteint. Là aussi, Brizé évite le cliché : c’est l’homme qui ne veut plus avoir de relations sexuelles.


On voit sa femme à l’oeuvre, se remaquillant après l'une de ses liaisons de passage, dans la huitième scène, qui évoque ce que peut avoir de déprimant une expérience purement sexuelle. Comme elle le dit, les hommes ont besoin d’être rassurés. Et ce besoin puéril peut les amener à se montrer bêtement cruels, pour avoir la sensation d’avoir été le gagnant.


Dans la scène suivante, notre « amant puéril » tente de reconquérir son ancienne compagne. Histoire de montrer une facette plus profonde de ce personnage. Mais, toujours aussi maladroit, il n’obtient pas plus satisfaction dans ce registre.


Celle qui l’a éconduit est à la peine dans la dixième scène, où on l’a trouve avec un amant qui ne veut pas rompre avec sa régulière. Mais, promis, il va lui parler. Bientôt. Thème archi-rebattu au cinéma, plutôt bien joué ici. L’occasion aussi d’aborder la difficulté des hommes à dire « je t’aime », sauf quand on fait l’amour où « ça ne compte pas » (ce que je trouve discutable d’ailleurs).


Comme en miroir avec la deuxième scène, la dixième illustre le culot du menteur, qui parvient à mettre mal à l’aise sa compagne alors que celle-ci n’est pas passée à l’acte, elle ! « Imaginer, c’est déjà tromper », lui assène celui qu’on a vu dans les bras d’une autre.


Mais n’y a-t-il pas, malgré tout, du vrai ? L’avant dernière scène, dans la voiture, assez crue, qui fait écho à celle de la prostituée, le suggère. Superbement interprétée. Et qui ne va pas là où l’on s’attend.


La ronde se boucle avec ce grand gaillard d’1m97 annoncé au début. Le couple est sur le point de se séparer. Que décidera-t-il puisqu’il hésite ? Le film s’achève en tout cas sur une image de tendresse. Un sentiment qu’on aura finalement assez peu vu au cours de ces 75 minutes.


Acteurs souvent convaincants, dialogues bien écrits, choix de cadrages simples mais adaptés aux situations : avec un très petit budget (4 jours de tournage, 4 jours de montage !), Brizé montre qu’on peut réussir un film au ton original. Certes, cela constitue aussi une limite du film, l’image étant parfois laide et le son médiocre (la scène avec la prostituée dans la voiture), ou encore les décors un peu limite (la scène dans le salon de la blonde que son ex veut reconquérir). Malgré tout, le film atteint une certaine vérité et parvient à se renouveler douze fois, maintenant intacte l’attention. Ce n’est pas rien. Lelouch, qui lui permit une visibilité, ne s’y est pas trompé. Dont acte.


7,5

Jduvi
7
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Créée

le 24 avr. 2018

Critique lue 365 fois

4 j'aime

Jduvi

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