Dans les abattoirs industriels normands et bretons filmés par Manuela Frésil, tout est à la chaîne : on tue à la chaîne, on dépèce à la chaîne, on coupe à la chaîne, on désosse à la chaîne, et on empaquète à la chaîne. Pour en rendre compte dans un film d’une heure, la réalisatrice s’est immergée dans ce monde pendant sept ans.

En effet, cinéaste engagée, Frésil s’est totalement investie pour et auprès des ouvriers. Lorsqu’elle les filme, c’est à leurs côtés, à l’intérieur même de l’usine, en caméra mobile, ce qui permet de capter chacun de leur mouvement rapide et répété. Car ce n’est pas tant le destin – horrible – des animaux, que celui des ouvriers qui l’intéresse : aussi bien l’industrialisation, que la violence de leurs conditions de travail. Elle rend à l’image la fameuse « habitude » dont tous parlent : en filmant leur arrivée à l’usine, leur pause-cigarettes et, évidemment, leurs gestes machiniques.
Le film est ponctué d’interviews face-caméra et de monologues en voix off. Ainsi, elle fait parler les gens qui n’ont pas accès à la parole publique et se place dans la lignée de Chris Marker (pour Le Joli Mai de 1963, notamment). Et en plus de donner la parole, elle dénonce : les astuces des supérieurs pour augmenter la cadence et les souffrances physiques des ouvriers qui s’ajoutent à celles psychologiques. C’est dans l’analogie entre les ouvriers et les bêtes qu’elle excelle. Si les ouvriers sont vus comme des bêtes – « voilà de la chair fraîche » dit un supérieur à propos d’une nouvelle employée – les animaux, eux, sont vus comme des êtres humains. Tous sont hantés la nuit par ces animaux : dans certains cauchemars, ce sont des hommes qui sont accrochés à la place des cochons ou des vaches. Le poste le plus difficile psychologiquement semble être « en tuerie » où les ouvriers tuent toute la journée des animaux effrayés. Ces témoignages de travailleurs épuisés qui nous font découvrir leur quotidien sont la force du film. Mais celui-ci pèche un peu quand il sort de l’usine.

En sept ans, la réalisatrice a eu le temps d’apprendre des choses et de rencontrer des gens. Par conséquent, elle cherche à tout mettre dans son film, qui devient alors une mosaïque confuse dont on sort à certains moments (d’où vient ce couple marié sur la plage ? pourquoi filmer une quinquagénaire lorsqu’on entend la voix d’une femme de 25 ans ?). L’exemple le plus représentatif est l’interview d’un tueur de cochons face-caméra, alors que l’anonymat (des voix-off) était la norme. Cette interview est en réalité le fruit d’un autre projet, filmé plusieurs années auparavant, qu’elle a pu intégrer car l’homme est désormais à la retraite et ne risque pas d’être licencié pour ses propos. Sa générosité et son intégrité transparaissent alors, de même que sa bienveillance lorsqu’elle lui propose de s’assoir.

Malgré quelques défauts, le film est tellement fort dans ses paroles (« Le premier jour : un choc. C’est la cadence de tuerie qui fait que c’est violent ») et ses images (plans sur les ouvriers qui miment leurs gestes quotidiens) qu’il ne laisse pas indifférent. Une cinéaste à suivre !
AudeM
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le 28 mai 2013

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