Au début des années 70, un certain Sixto Rodriguez enregistre deux albums : des flops retentissants qui le font disparaître dans l’oubli. C’était sans compter sur un joli hasard qui a fait rencontrer ses textes avec la lutte anti-Apartheid. Deux fans sont partis à la recherche de cette légende et le documentaire du suédois Malik Bendjelloul la retrace.

Le film s’ouvre sur une voiture qui roule dans une montagne rocheuse d’Afrique du Sud. Une voix masculine raconte le début de l’histoire de Rodriguez. Cette voix, c’est celle de Stephen Segerman qui, avec son acolyte Craig Bartholomew-Strydom, a résolu le « mystère Rodriguez ». En effet, ces deux Sud-Africains (l’un disquaire, l’autre journaliste musical) ont uni leur force pendant trois ans pour en savoir plus sur lui et découvrir de quelle manière il était mort. Dès lors, le film prend la forme d’une enquête policière : rétrospection sur la non-carrière du chanteur dont la matière et les documents font défaut, autrement dit constituée de quelques photos, de reconstitutions animées fumistes et de longs entretiens filmés face caméra.

Parce qu’en plus de manquer d’originalité, le réalisateur s’approprie discrètement leur découverte : et non, Rodriguez ne s’est ni tiré une balle ni immolé sur scène, mais coule des jours tranquilles à Detroit depuis de nombreuses années. Gloire à Bendjelloul qui a retrouvé ce chanteur ignoré et va enfin le libérer de son sentiment d’échec en lui apprenant qu’il a quarante-mille fans à l’autre bout du monde ! Mais il oublie un léger détail, c’est que les deux apprentis détectives nommés plus haut, l’avaient révélé quinze ans plus tôt. Et feindre pendant 1h25 de découvrir le destin de Rodriguez en même temps que nous, devient presque malhonnête. Le récit – incroyable – se suffit à lui-même. Pourquoi tant scénariser et faire monter le suspense ? A force de trop vouloir surprendre le spectateur avec différents bouleversements et coïncidences, on finit par sentir les artifices du mauvais scénariste que serait Bendjelloul. L’histoire paraît alors fabriquée et l’effet « poupée russe » factice.

Toutefois, il faut lui reconnaître un moment de grâce qui arrive au milieu du film : l’apparition de Rodriguez en chair et en os. Après un plan fixe sur une modeste maison, on aperçoit une silhouette fantomatique derrière une fenêtre embuée. Il s’agit bien de ce mort revenu à la vie en 1998, aujourd’hui voûté et malhabile mais toujours vêtu de noir. C’est lui qu’on aurait souhaité voir pendant tout le film. Cet homme qui, tout en venant travailler sur les chantiers de démolition (en costard, s’il vous plait), préparait une licence de philosophie. Celui qui, malgré ses origines ouvrières, emmenait ses filles au musée et se présentait aux élections municipales. C’est sa façon de voir l’existence et le sens qu’il donne à la vie qui nous bouleversent. Comment ne pas chavirer devant tant de sérénité et de modestie ? Car c’est bien la personnalité hors-du-commun de ce septuagénaire qui sauve le film.

Malheureusement, cet instant ne dure pas, et il est suivi par un entretien raté qui n’aboutit sur rien. Ainsi, la promesse du réalisateur – qui était d’éclaircir le « mystère Rodriguez » – n’est pas tenue et on quitte la salle frustré avec l’impression de repartir sans avoir appris quelque chose. Seule la musique de ce grand artiste résonne encore dans nos oreilles…
AudeM
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le 19 févr. 2013

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