Dans une danse mécanique, les ouvriers d'un des nombreux abattoirs de France reproduisent les gestes qu'ils effectuent depuis plusieurs années. Gestes que la cinéaste Manuela Frésil s'applique à reproduire afin d'en dégager les vices que le temps s'occupe d'amplifier.
Sous le postulat de l'anonymat, la réalisatrice fait défiler des voix sans noms derrière des images qui, au fond, reflète la même idée : des êtres sans identités dont on a oublié la provenance, dont on ne se préoccupe plus de voir défiler et que nous oublierons aussitôt qu'ils auront disparus ; au son comme à l'écran. Ainsi, de la même manière que le bétail, les discours, les usines ou les plans se suivent sans se diversifier. Les lieux comme les témoignages sont interchangeables et les intérieurs se mélangent aux extérieurs sans que le lien entre les deux ne soit jamais tracé. Cette idée du travail de machine amené et critiqué depuis de nombreuses années au cinéma (On ne fait que penser à Chaplin) se retrouve également dans la façon dont la réalisatrice a travaillé son film et son montage. Les plans, pris dans plusieurs usines françaises, ne correspondent jamais entre eux. En effet, le film s'assure que les plans d'ensemble ne soient jamais liés aux intérieurs sur le point de vue géographique. De même, les voix off ne sont jamais rattachées à des lieux propres si bien que les abattoirs restent un élément de l'ordre du mythe intouchable qui se trouverai à la fois partout et nulle part : une industrie elle-même sans identité. Ces présences fantomatiques finissent cependant par se découvrir d'une manière ou d'une autre ce qui fait perdre sa force très symbolique au film. Il existe chez Frésil une volonté certes très humaine de justifier ses propos, mais qui d'un point de vue strictement cinématographique fait perdre au projet de son imaginaire.
Afin de formaliser le travail à la chaine en image, le film s'attache à conserver une narration très robotique afin d'appuyer les mouvements répétitifs opérés par le personnel jusqu'à l'usure dans un cercle vicieux qui ne cesse de s'accroitre. Cette vie éprouvante qu'ont les ouvriers qui ne sont plus capable de redevenir civil et qui retrouve leur travail même dans leur sommeil. "L'impasse de l'abattoir" qui habite ces employés, condamnés à endosser le rôle qui leur été administré quel qu'en les coûts, se diriger vers un cul-de-sac sans possibilité de marche arrière.
T-Mac
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le 17 mai 2013

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T-Mac

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