Lorsque l'on parle de science fiction au cinéma, nous avons tendance en occident à oublier les films produits dans l'ancien bloc soviétique. Les raisons sont diverses, une distribution inexistante - le film traité ici est par exemple inédit en France et bénéficie avec trois autres titres d'une édition DVD/BR sublime par Artus Films - une frilosité du public à découvrir ces œuvres précédées d'apriori idiots sur leurs qualités formelles et sans parler des diktats politiques liés à la guerre froide qui nous ont privé jusque là de la possibilité d'avoir accès à ces films.

Néanmoins il serait injuste et faux de s'imaginer que les pays de l'est n'avaient pas toutes les compétences techniques pour proposer des films brillants. Bien entendu les porte étendards du genre restant les chefs d'œuvres d'Andrei TARKOVSKI que sont Solaris ou Stalker mais on peut aussi évoquer "Signale" de Gottfried Kolditz moins connu mais souvent cité comme la réponse du bloc communiste au 2001 : l'odyssee de l'espace de Stanley KUBRICK.

Eolomea appartient à cette série de films de science fiction co-produits par l'URSS et d'autres pays socialistes, ici la RDA et la Bulgarie, qui furent invisibles en occident malgré d'immenses qualités.


L'histoire se situe dans un futur où l'humanité à colonisé la lune mais aussi d'autres planètes dans d'autres systèmes stellaires. Cette expansion territoriale a son centre névralgique situé dans la station orbitale "Margot" or suite à l'inquiétante et inexpliquée disparition corps et âmes de plusieurs vaisseaux cargos et au silence radio de ladite station, le conseil de l'espace à la tête duquel la professeure Maria Scholl décide de suspendre tous les vols et de diligenter une enquête pour comprendre ce qu'il se passe dans cette mystérieuse partie du cosmos.


Si on peut avec notre regard contemporain s'amuser de la représentation de certains éléments sensés figurer le futur, il serait en revanche mal venu de ne pas noter certains éléments narratifs qui dénotent d'une réelle connaissance scientifique et d'une réelle capacité à la prédiction. Un exemple parmi d'autres, le film parle de la possibilité de détecter des exoplanètes orbitant autour d'étoiles lointaines par la méthode du transit. Une méthode rendue possible aujourd'hui par les progrès techniques et des télescopes spatiaux comme "Hubble" mais qui en 1972 relevaient de la pure spéculation science fictionnelle. Si certains objets futuristes trahissent aujourd'hui le point de vue dépassé de l'époque, la représentation des ordinateurs est par exemple très désuète, d'autres de ces appareillages sont remarquables dans l'impression de pertinence et d'acuité qu'ils dégagent.


Pour rester dans le champ du technique et avant de dire un mot des thématiques abordées par le film, deux mots sur la production.

Le film fut tourné en 70mm ce qui confère au film une image dont la résolution est remarquable et le DVD bénéficiant en plus d'un remaster d'excellente facture la beauté plastique du film est indiscutable. Il prouve si besoin en était que les cinéastes et techniciens issus des pays de l'est n'étaient pas des manchots et que l'école soviétique compte parmi les école maîtresses du cinéma mondial. Je vous affirme que si ce n'était les looks et les représentations quelques peu datées de la technologie présente dans le film, la qualité de l'image peut laisser penser que le film a été tourné hier.

La photographie est à l'avenant et les effets spéciaux sont loin d'être ridicules et témoignent eux aussi d'un vrai savoir faire. On a beau savoir que ce sont des maquettes et des jeux d'optiques, le rendu est dingue et la suspension consentie de l'incrédulité fonctionne à plein, en tout cas elle a bien plus fonctionné chez moi que devant certains films actuels bourrés de CGI aléatoires.


Bien ! Juste là on a l'impression d'un film voulant démontrer la supériorité technique des pays socialistes, d'un film qui rappelle la course à la conquête spatiale qui anima les deux blocs aux tournants des décennies 60 et 70. C'est vrai qu'il s'inscrit pleinement dans cette optique propagandiste mais le réduire à ça est dommage. Le film aborde en effet des questions d'ordre philosophique passionnantes, la notion du "temps" différé par exemple qui fait qu'un des personnages a quitté son fils bébé au départ de son voyage spatial et qu'il le retrouve adulte, Interstellar n'a pas fait mieux, croyez moi.

Enfin et je vais arrêter mon argumentaire ici, en espérant vous avoir donné l'envie de découvrir cette proposition inédite de science fiction, il est intéressant, drôle de noter que la résolution de l'énigme contient en creux l'idée d'une fuite vers d'autres horizons, d'une communauté inspirée de la culture hippie, honnie par les officiels du régime, conférant au film derrière son aspect primaire d'outil au service de l'idéologie - attention soyons clair ce n'est pas pour autant un film de propagande du régime et le film n'est pas plus politique qu'ont pu l'être les films hollywoodien de l'époque Reaganienne - un côté pirate assez rassérénant.

Créée

le 4 déc. 2024

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