C’est avec Eraserhead que j’ai découvert il y a quelques années le cinéma de David
Lynch, cinéma dont il ne m’a fallu que quelques instants pour en tomber amoureuse
tant l'oeuvre brillait par sa maîtrise et sa fascinante atypicité. Jamais je n’avais vu film
si étrange, si imprévisible. A chaque instant, tout et n’importe quoi pouvait se passer,
et chaque plan me surprenait constamment.
Mais pour tout dire, ce n’est pas tant le déroulé des évènements qui m’a séduit que
l’univers proposé. Et par univers, j’entends aussi bien univers diégétique qu’univers
esthétique. Ce monde avait une dimension dépressive, angoissante, étrange,
relevant presque d’une forme de post-apocalypse aux décors désertiques et
désolés, me faisant penser à la solitude que je connaissais si bien, et au sentiment
de ne pas appartenir au monde qui m’entoure. Mais ce monde était aussi fascinant,
poétique, beau, surréel. Rares sont les chants m’ayant autant marqué et ému que
“In Heaven” chanté par la femme du radiateur dans un théâtre miteux. De plus,
l’univers sonore du film ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu voir auparavant.
Un vent soufflant en permanence un souffle d’insécurité, des bruits étranges de
fluides immondes, des pleurs grinçants d’un bébé mutant ; tout dans cet univers
sonore était nouveau, délicieusement étrange, et parfaitement maîtrisé.
Niveau étrangeté fascinante, les personnages n’étaient pas en reste : tous
agissaient de façon étrange et inquiétante, mais tous semblaient également dévorés
par une émotion intérieure innommable et qu’ils ne parvenaient pas à exprimer,
celle-ci perçant uniquement à travers les regards et les visages malaisés. Cette
intériorité des personnages me faisait penser à celle que je n’exprimais pas, et je
brûlait de la comprendre, tout comme je brûlais de comprendre les règles et la
logique de cet univers, tout en ayant conscience du caractère vain de cette quête, et
du fait que la beauté de cet univers relevait d'une approche sensible et non
rationnelle du film.
Tout au long de mon visionnage, je me suis donc laissée dériver par le courant
d’images offert par David Lynch, passant de merveille en merveille, d’étrangeté en
étrangeté, de répulsion en répulsion, de matière en matière, de son en son,
d’émotion en émotion. C’est ainsi qu’Eraserhead m’a tendu un miroir et m’a montré
un autre visage du cinéma, un visage sensoriel, inquiétant, et étrangement fascinant
qui n’a cessé de me hanter depuis.
David Lynch était des plus grands, qu'il repose en paix.