Ca y est, j'ai fini la filmographie de David Lynch (il me reste Twin Peaks The Return, j'ai hâte) et quel plaisir quand même. L'une des plus grandes franchement y'a pas à disserter : une vision unique aux obsessions marquées, il est passé par tous les genres, chaque film est habité d'un surréalisme splendide rarement trouvable au cinéma et a fait briller moult acteurs. L'œuvre de Lynch est fascinante à tous les niveaux, atypique comme c'est pas permis et mérite d'être découverte par tous les curieux qui n'ont pas peur de pénétrer dans un univers débridé.


Et dieu sait que Eraserhead est débridé ! A mi-chemin entre l'expérimental et l'horreur, et pourtant engagé à fond dans les deux genres, le film est pris dans deux identités en théorie incompatibles mais ici tellement bien exécutées que ça en devient superbe. D'abord, c'est un objet cinématographique dérangeant et inquiétant. L'action est leeeeeente (surtout au début), muette et contemplative. Il y a facilement moins de 60 lignes de dialogue dans tout le film, tout passe par l'image et quelle image. Un noir et blanc trouble typique de cette époque, des décors surnaturels et factices, des maquettes et effets spéciaux répugnants. Rien n'est explicite dans Eraserhead, la place laissée à l'interprétation est titanesque ce qui fait que les situations sont souvent profondément gênantes voir désagréable pour le spectateur. L'expression "horreur psychologique" n'a jamais été aussi pertinente que pour ce film: pas de screamer, pas de monstres (quoi que…), pas de gore à outrance, pas de choquant répugnant, rien qui sorte de l'ordinaire, juste une vision parmi les plus noires et écœurante qu'on puisse avoir du couple, des gens, de la vie. Il y a un vrai côté "film maudit" tant le délire est jusqu'au boutiste, rien n'est épargné au spectateur et on a vraiment l'impression de devoir regarder une vidéo concoctée par un savant fou pour créer des résonnances dans le cerveau du spectateur… enfin ce serait le cas si le métrage n'était pas pourvu d'une seconde identité.


Celle de David fucking Lynch ! L'esthétique à des années lumières de la concurrence proposée par le maître, le film paraît presque chaleureux à cet aspect tant notre expérience visuelle est agréable et rend hommage aux décors très sympathiques (qui font échos aux autres projets notamment Twin Peaks), au noir et blanc léché digne d'Elephant Man, aux jeux de lumières travaillés comme il faut, premier film et pourtant déjà du cinéma. L'absurde des situations affiche parfois un certain humour (classique chez le réalisateur également), mais ça détonne encore plus de réussir à décrocher des sourires de stupéfaction ici quand l'ambiance est à ce point poisseuse, oppressante et prise de tête. L'autre aspect qui édulcore encore cette sensation globale d'étouffement est de voir l'inventivité créative du film dans son minimalisme, les marionnettes sont répugnantes, à vomir et pourtant on voit très bien que c'est juste quelqu'un qui les secout en hors champ. Pareil pour tous les éléments un peu surnaturels d'horreur, on voit que c'est fait avec les moyens du bord (mention spéciale à la bague en stop motion… je n'en dit pas plus), et pourtant ça fonctionne super bien grâce au noir et blanc qui affaiblit l'acuité visuelle, au contexte et à la dernière gigantesque réussite du film : son design sonore.


C'est LA dinguerie finale qu'Eraserhead a a proposer et qui garantie quasi à elle seule son ambiance insupportable. La musique est obsédante, minimaliste (le travail est similaire à celui d'Inland Empire, j'en parlais dans mon avis sur ce dernier mais est beaucoup plus humble on voit que c'est les débuts), les bruitages ne sont pas naturels et incompréhensibles (pourquoi le radiateur fait ce bruit-là ?) et tout est fait pour que ce florilège de sons infernaux enivre l'esprit de spectateur et le plonge dans les troubles de son protagoniste. C'est compliqué à décrire mais vous comprendrez instantanément lors du visionnage (notamment dans l'insoutenable scène finale… Lynch arrive toujours a mettre tous les éléments de ses projets à contribution dans des espèces de 'scènes apogées", et ici tu as vraiment l'impression que ta tête va exploser sous l'effet de la pression comme une bouilloire). C'est beau de voir à ce point-là la musique et la dimension sonore portée aux nues, la scène de In Heaven donne déjà les frissons alors que c'est un premier film. Mention spéciale à la fin également comme je l'ai dit juste au dessus, lourde à interpréter et tellement marquante.


Traverser la filmographie de David Lynch est un sacré voyage, on en ressort vraiment grandi tant les expériences sont jusqu'au boutiste, sans concession, originales et surtout qualitatives. C'est fantastique de voir des réalisateurs qui arrivent à renouveler l'exploit à chaque film ou presque, leurs projets fourmillent systématiquement d'idées fraiches et excellentes, et atteignent un sommet niveau émotion. Lynch est un réalisateur unique, j'ai élaboré un peu plus sur ses thèmes récurrents dans mon avis sur Inland Empire, mais franchement si vous voulez vivre des expériences trouvables nulle-part ailleurs, et ressentir du bon frisson, faites vous un cadeau et allez découvrir cet auteur, il y aura certainement quelque chose pour vous (romance, policier, biographie, mélodrame, road-trip, horreur, science-fiction…). C'est le premier réalisateur pour lequel j'ai quelque chose à dire sur autant de ses films, on est vraiment fasciné, ça continue de nous hanter après le visionnage et on a envie d'en parler. Du cinéma, du vrai, du lourd.

Tomega
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le 6 févr. 2022

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