J'aime bien le cinéma de Yves Boisset même si parfois dans ses films politiques, son discours démonstratif est asséné avec de gros sabots, il s'est taillé une réputation de pourfendeur de scandales politiques. Ici, dépouillé de ces atours tapageurs, Boisset entend dénoncer les méthodes des services secrets auprès desquels un agent reste de gré ou de force lié toute sa vie. Son film se situe dans la catégorie des films d'espionnage à la John Le Carré, avec une complexité du scénario qui reproduit celle de ces services secrets peu enclin à faire du sentiment, il décrit un monde ténébreux où tous les coups sont permis, où s'entrecroisent double et triple visages des personnages, dont certains n'hésitent pas à faire des opérations de "nettoyages", purges, manipulations afin d'éviter des complications diplomatiques.
A travers le personnage de Lino Ventura, ex-agent du SDECE, retiré en Suisse comme paisible conseiller financier, mais en réalité un agent en "sommeil" qui n'a pas été contacté depuis 10 ans, Boisset exalte les derniers sursauts d'un individu broyé par un système, piégé et traqué, dont la vie ne compte plus pour ses chefs. On est loin du fantasque James Bond, ici c'est la vraie vie des agents secrets qui se font éliminer s'ils ne rentrent pas dans un moule préétabli et que l'on jette sans vergogne après usage. Comme je le disais, on se croirait chez Le Carré, car l'excellent roman de l'Anglais George Markstein (un des créateurs de la mythique série le Prisonnier, donc il s'y connait en manipulation) a été bien retranscrit par Boisset et Michel Audiard dans un scénario embrouillé à souhait comme il se doit, et où tous les personnages jouent un rôle ambigu (sauf celui de Lino qui apporte au sien un mélange de force et de fragilité).
Le réalisateur utilise plusieurs thèmes vus dans des films anglo-saxons réputés comme L'espion qui venait du froid ou Ipcress danger immédiat, mais avec une originalité et une redoutable efficacité. L'action, traversée par quelques scènes violentes, ne se relâche jamais, les trahisons internes, l'atmosphère inquiétante, les rebondissements dramatiques propres à captiver notre attention, et l'ambiguïté des protagonistes tels celui incarné par un excellent Michel Piccoli (acteur que pourtant je n'ai jamais trop aimé), et celui incarné par un glaçant Bruno Cremer sans qu'on sache qui est qui... sans oublier une BO bien calibrée du maestro Morricone (la fameuse Marche en la), tout ceci est captivant et démontre le savoir-faire d'un Boisset très à l'aise dans le genre espionnage.