Pour les amoureux, comme moi, de Guédiguian et de sa troupe, la sortie d'un nouvel opus du réalisateur marseillais est toujours un événement cinématographique qui suscite quelques appréhensions. Car Guédiguian nous habitue à alterner des œuvres magnifiques ou au contraire très moyennes. Lorsque Guédiguian se lance dans un film à thèse sur ses obsessions politiques, avec force démonstrations didactiques, il manque souvent sa cible : ce fut le cas récemment de Twist à Bamako, qui sonnait faux du début à la fin malgré la justesse du propos historique. Lorsqu'au contraire, il place sa caméra au plus près de ses protagonistes pour mieux explorer leurs failles intimes et leur stratégie de survie dans un monde hostile, Guédiguian est capable de nous époustoufler.
Et la fête continue ! est précisément situé aux confins de ces deux facettes de l'œuvre du réalisateur. Du côté de la mise en scène, Guédiguian filme admirablement sa troupe des "historiques" (Ascaride, Darroussin, Meylan, Boudet), aux prises avec les affres du vieillissement. Et c'est clairement l'aspect le plus réussi du film. Le renouveau amoureux de Rosa (Ascaride) et Henri (Darroussin) est filmé avec pudeur et justesse. Tonio (Meylan), le coureur de jupons sur le retour, est également attachant dans son rôle. Enfin, voir Jacques Boudet tenir un caméo, tremblotant à l'écran, est émouvant.
En revanche, Guédiguian a décidément plus de mal à mettre en valeur sa jeune génération d'acteurs (Lola Neymark et Grégoire Leprince-Ringuet notamment), même si Robinson Stévenin s'en sort plutôt bien. La faute à des dialogues trop convenus mais, peut-être aussi, car Guédiguian est plus en difficulté avec sa troupe de trentenaires dont il peine à bien capter la différence générationnelle.
Cela étant, la vraie limite du film tient au fait que Guédiguian n'est pas parvenu à dompter ses obsessions personnelles et militantes. Le film démarre sur le drame des marchands de sommeil marseillais mis en lumière par l'effondrement d'immeubles délabrés. Très vite, Guédiguian enchaîne sur la dislocation de la gauche et l'impossibilité d'une alliance politique encline à permettre la victoire politique de son camp à Marseille. Et puis, bien sûr, le drame arménien consécutif à l'annexion du Haut Karabakh par l'Azerbaïdjan est venu s'insérer dans le scénario car Guédiguian, l'Arménien, ne pouvait rester muet sur cette question identitaire qui est au cœur de sa filmographie. Sans oublier le manque de moyens de l'hôpital public et l'épuisement des soignants…
Qui trop embrasse mal étreint ! Chaque sujet méritait en soi un développement scénaristique unique qui aurait pu constituer un fil conducteur fécond et passionnant. Mais vouloir traiter se concert quatre sujets n'a été rendu possible qu'en survolant la complexité des questions posées, au travers de scènes minimalistes, de dialogues superficiels et d'une mise en scène réduite à la portion congrue. Dommage car le propos est souvent juste et bien documenté. En particulier, la campagne municipale que mène Rosa traduit avec justesse les difficultés d'une alliance à gauche dès lors que les différentes familles politiques sont incapables de porter un projet de société compatible. Mais les réunions politiques mises en scène, réduites à des monologues d'Ariane Ascaride, peinent à véritablement montrer la réalité de cette impossibilité politique. Et encore moins la conflictualité bordélique des réunions d'appareil.
Heureusement, le film regorge de très beaux beaux moments. La scène finale sur la place de Marseille est poignante. Guédiguian filme une nouvelle manière de faire de la politique en touchant l'affect des citoyens. Pour le coup, il s'agit d'une vraie leçon de mise en scène. Manière pour le réalisateur de lutter, une nouvelle fois, contre le pire des maux de notre société malade : l'indifférence aux drames qui nous environnent.