C’était pourtant une belle promesse, le nouveau film de François Ozon. La promesse d’un film tendre et nostalgique qui saurait raviver, chez pas mal de quarantenaires, quelques souvenirs d’adolescence et de ces années 80 qui n’en finissent pas de revenir à la mode. Les walkmans, les fringues et les coupes de cheveux improbables, Cure, Jeanne Mas et les Bananarama, le premier amour de vacances, les premiers émois et le premier baiser aussi, Ozon nous promettait tout ça, alors on savourait d’avance. Sauf que dix minutes suffisent pour se rendre compte de la catastrophe, pour réaliser que cette belle promesse ne dissimule autre chose qu’une supercherie.
Comment Ozon s’est-il débrouillé pour qu’absolument rien ne fonctionne dans son film, et pour qu’on se désintéresse à ce point de l’idylle contrariée entre deux garçons, Alexis et David, qui s’aiment fort au Tréport ? Parce qu’à ce degré d’indigence artistique, on frôle le nanar. Adaptant le roman d’Aidan Chambers, La danse du coucou, Ozon, pourtant à l’aise quand il s’agit d’approcher l’intime et l’émotion (Le temps qui reste, Sous le sable, 5x2), se retrouve ici incapable de retranscrire à l’écran la naissance du sentiment amoureux jusqu’à ses ultimes désordres (la danse finale sur la tombe) ; de donner corps à son récit autrement qu’en élaborant un pseudo suspens autour de l’arrestation d’Alexis ; de saisir l’ambiance si particulière des eighties qui ne revêt plus que la défroque usitée d’un argument marketing pour appâter le spectateur (et qu’Ozon réduira, le temps d’une scène, à un simple copié-collé, sinon un hommage, d’un instant culte de La boum).
Ce sont surtout les dialogues (en plus d’une voix off inutile) qui anéantissent toutes espérances de bouleversement, toutes éventualités de justesse narrative. Et aucune scène, et c’en est presque du grand art à ce niveau-là, n’échappe à la pauvreté d’une écriture qui rend artificiel le moindre échange (la rencontre entre Alexis et Kate ou avec la mère de David, le final sur la plage…), la moindre action (le sauvetage en mer, la visite à la morgue…) et le moindre enjeu (les talents d’écriture d’Alexis, son travestissement, sa construction du deuil…). Il suffit par exemple de voir comment Ozon traite la rupture entre Alexis et David, tombé amoureux de Kate en un clin d’œil (on pourrait y croire à la rigueur, et parce que le coup de foudre existe évidemment, mais il est si grossièrement amené qu’on en râle de dépit), pour comprendre ce qui fait défaut à l’ensemble du film : du subtil et du romanesque.
Et si Benjamin Voisin, décidément plus que prometteur après Un vrai bonhomme et La dernière vie de Simon, s’en sort seul avec les honneurs, on a du mal à savoir si les autres interprètes sont lamentables à cause de l’ineptie des dialogues, d’une direction d’acteurs désastreuse ou parce qu’ils sont, sur ce coup-là, complètement à la masse. Personne d’ailleurs n’échappe au massacre : de Félix Lefebvre et son charisme de savonnette à Melvil Poupaud en caricature de prof de français, en passant par Isabelle Nanty en maman poule gnangnan et Philippine Velge qui, la pauvre, ne sert pas à grand-chose… Mention spéciale enfin à Valeria Bruni Tedeschi, grotesque (le mot est faible) en mère vibrionnante.
Et puis Ozon a voulu donner à l’homosexualité une image plus solaire, plus joyeuse que véhiculait alors celle, glauque et sombre, de beaucoup de films des années 80 (L’homme blessé, Querelle, La chasse…). En soi ça partait d’une bonne intention, mais on peine à croire à la vision bisounours de ces deux garçons qui s’aiment sans difficulté à une époque où l’homosexualité était encore tabou et ne se vivait pas aussi facilement, aussi ouvertement, Ozon limitant très maladroitement cette "difficulté" à un cliché, une mauvaise blague (soit un "oncle Jacky" dont il ne faut pas parler, puisque homo et portant des robes). Il fallait sans doute Xavier Dolan, il fallait peut-être Céline Sciamma, voire Abdellatif Kechiche, pour ne pas passer à côté de cette chronique adolescente qui dit les désirs balbutiants et dévorants. Pour le coup, on n’hésitera pas à revoir, dans le même genre, Les roseaux sauvages, Beautiful thing, Presque rien ou Call me by your name, d’abord pour le plaisir, ensuite parce que ce sont de beaux films qui, eux, ont su véritablement capter la confusion et la beauté d'une jeunesse gay tombant amoureuse pour la première fois.
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)