L'absence et l'enfance, voilà les thèmes d’Été 93, premier long-métrage de la catalane Clara Simon, justement accueilli par le prix du meilleur premier film à Berlin. Outre la performance de Laia Artigas (la petite Frida), la liberté de ton de la jeune cinéaste ressort de l'ensemble, dans un film émouvant quoique sans pathos.
Comment diriger une si jeune enfant, non professionnelle bien sûr, et parvenir à la guider vers un jeu complexe et nuancé? Tel était le défi de C. Simon qui avec Laia Artigas (6 ans) et sa cousine pour de faux Paula Robles (Anna, 3 ans à peine) dut faire preuve de pédagogie, de sensibilité et d'intelligence pour ce faire. Et il faut avouer que le résultat est étonnant tant Frida (le personnage principal), touchante de sincérité, à la fois attachante et cruelle, suscitant notre compassion mais aussi notre agacement (envie de lui en foutre une quoi), démontre une large palette émotionnelle, passant de l'amusement passager avec sa cousine (bien que beaucoup plus jeune qu'elle) à l'ennui durable dans ce village perdu près de Girone où elle ne connait personne, de la complicité à la solitude, du sentiment d'acceptation (de la part de sa famille) à celui de rejet (des villageois et des autres enfants), de l'ignorance à l'apprentissage de la mort (le sang menstruel, les animaux, ...), de l'absence toujours latente à la construction d'une nouvelle vie (famille, foyer, amis, ...), d'un semblant d'amour à la jalousie, enfin de l'innocence à la tentation du mal (avec sa cousine principalement).
Cette richesse de jeu est-elle due à une manipulation émotionnelle de la C. Simon? D'après ses dires, non, étant donné qu'elle avoue avoir offert une certaine liberté à ses jeunes pousses. Par exemple, elle les laissait jouer (avec des jouets) pendant des heures et filmait ces scènes sans qu'elles n'en aient conscience. Par ailleurs, elle ne leur a pas fait lire le scénario ni leur a exigé d'apprendre de texte hormis quelques phrases. L'impression qui se dégage de cette direction d'acteurs peu interventionniste est celle d'une liberté grande, collant au plus près à la saison des vacances qu'elle veut filmer et qui est le temps de l'imagination, de la non-action, du recueillement et de l'intériorité en même temps qu'affranchissement, atténuation des contraintes. Ainsi, le spectateur assiste à la création presque immédiate d'un film qui s'écrit, en partie, dans le temps réel du tournage.
Le point de vue interne adopté par C. Simon qui filme, caméra à l'épaule (un peu à la frères Dardenne mais avec moins de soubresauts), des événements perçus par la petite Frida nous semble audacieux. Trop peut-être car s'il parvient à placer en arrière-plan le thème un peu lourd de l'absence (mort des parents) et à se focaliser d'abord sur l'enfance et le manque chez celle-ci, il réduit considérablement les possibles ressorts dramatiques. Aussi, alors que l'enfant souvent seule, ou tout du moins à l'écart de ses parents, apparait libre, il est dommage de ne pas retrouver plus de poésie, d'imagination féconde chez elle au lieu de ce contagieux ennui. Nous aurions aimé, par exemple, voir d'autres scènes comme celle où les deux gamines se déguisent et jouent à l'adulte, d'une grande force visuelle et significative.
Mais laissons Clara Simon "grandir", elle saura sans aucun doute encore mieux nous satisfaire à l'avenir.