La vie d'un adepte du poney play, soit le fait de porter sabots, crinière et queue afin de se laisser dresser comme un véritable équidé. Sur le papier, Être cheval prête forcément à la rigolade, et on s'imagine déjà entrer dans la salle avec un petit sourire irrépressible, prêt à halluciner devant ce drôle de type. Fort heureusement, ce doc n'a rien de commun avec le fameux La Fistinière : caméra au poing, qui faisait rire au détriment de ses personnages hauts en couleurs, et ratait son réel sujet.
Être Cheval suit carrément le chemin inverse. Moins que la pratique du poney play, c'est son héros qui intéresse le réalisateur Jérôme Clément Wilz. Soit un Français, professeur à la retraite, et père d'une jeune fille dont la caméra nous fait partager à quelques reprises les conversations téléphoniques qu'il a avec elle depuis la Floride. C'est que notre homme est parti outre-Atlantique pour rejoindre Foxy, un chasseur d'alligators taxidermiste prêt à lui faire subir l'entraînement de rigueur.
C'est sur ce séjour que se concentrent les 50 minutes du documentaire, choix idéal qui permet de dresser un portrait excessivement intime du personnage (car c'en est un, par la force des choses) où le facteur humain prime sur le reste. Si Être Cheval est un beau film, c'est parce qu'il tourne d'entrée de jeu le dos à ce qu'il aurait pu être de pire : un film de petit malin qui tape l'incruste chez des gens hors normes pour en dresser la caricature, et susciter des "WTF" tapés à l'arrache sur les réseaux sociaux sans autre forme de procès que celui du buzz.
Voilà plutôt un moyen-métrage précieux tant il donne envie de mettre le feu au concept même de préjugé. Loin des regards indiscrets dans son ranch américain, mais complètement ouvert au fait d'être scruté par la caméra, le héros d'Être Cheval, pour peu qu'on l'écoute quelques minutes, donnerait envie au plus complexé d'entre nous d'assumer tous ses désirs. Sans amertume, l'homme affiche sa vraie nature avec une sincérité terriblement attachante, et défie en permanence le ridicule au point de partager ses joies et angoisses quotidiennes.
Il en ressort de vrais instants de grâce, d'autant plus précieux qu'ils s'inscrivent à fond dans l'imagerie anthropomorphique où évolue la caméra. Sûr de lui, déterminé, le poney player admet au détour d'un dialogue n'en avoir rien à cirer des jugements péjoratifs, et être aujourd'hui bien plus équilibré, plus heureux qu'il ne l'était avant de comprendre sa propre identité. Au gré de rencontres surprenantes, c'est un autre monde que le film permet d'appréhender, à mi chemin entre tendances SM et questionnements transgenre, sans que jamais un discours démago malvenu n'émerge.
L'un dans l'autre, un excellent documentaire, amusant sans être moqueur, et très touchant pour qui aime découvrir et comprendre des fantasmes, des modes de vie ou simplement des idées qui ne sont pas les siennes. Dans le genre ode à la différence, difficile de faire plus différent. Allergique au moralisme, Être Cheval porte haut un sujet pourtant très casse-gueule et laisse un souvenir assez unique, marque des documentaires qui ont compris leur sujet. Quel regret, du coup, que la bande annonce ne rende pas justice à ce chouette équilibre.