Je ne pensais pas être autant bouleversé par un film vendu par la distributrice comme une "œuvre chaleureuse qui met en valeur l'école républicaine." La vision d'une certaine génération du film explique beaucoup de choses sur la façon de percevoir le système éducatif et le bien être des enfants. Car là où le public avait tendance à rire dans beaucoup de scènes, je trouvais le film profondément tragique.
Tragique déjà de par cette mise en scène d'une grande sobriété qui cherche à capter des moments de réel. Nicolas Philibert sait jouer avec sa caméra, la poser, et laisser passer des moments qui illustrent l'ambiance de l'école. La bienveillance de cet instituteur, les différents caractères des enfants, leurs regards perdus et parfois enjoués, le décor qui entoure l'école et permet au cinéaste de jouer avec le temps et le changement des saisons, en filmant aussi le coté rural dans lequel se situe l'établissement scolaire. En fait, de par cette mise en scène, le réalisateur va certes montrer la fourberie de certains enfants et leurs capacités à s'entraider malgré leurs différences d'âges, ce qui offre cet aspect chaleureux et taquin, mais le fond du film va surtout mettre en avant l'angoisse de l'avenir, le contexte social dans lequel s'inscrivent ces enfants, et pourquoi certains ont des difficultés scolaires et des comportements problématiques.
La gentillesse de cet instituteur au passé singulier venant d'un monde agricole, ne peut rien face au système scolaire qui consiste toujours à ranger les enfants dans des cases au vu de leurs difficultés. La scène du collège qu'ils visitent en est très représentatif : il est filmé comme une prison, avec beaucoup de bruit, dans une cantine où tout va vite et où les enfants ne trouvent aucun repère de ce qu'ils connaissent dans le calme et la sérénité de leur classe actuelle. La fin aussi, où le prof les met en garde de la sévérité du système administratif du collège. Cette angoisse, on ne la ressent pas que dans le regard de l'instituteur, mais aussi dans le visage des enfants, entre deux réflexions mathématiques. Ils ont conscience qu'ils ont plus de mal que d'autres, d'avoir des difficultés, de ne pas comprendre un mot, un chiffre ou la demande du professeur, là où d'autres y arrivent avec moins de soucis.
Ca peut paraître drôle de les voir se tromper, c'est le regard paternaliste et bienveillant, mais c'est aussi profondément tragique. Car Philibert a aussi l'intelligence d'aller voir de temps en temps comment se passent les révisions au sein de quelques familles. Et le constat est bouleversant : la plupart des enfants sont issus d'un milieu pauvre rural. Les plus violents à l'école s'occupent déjà de la maison, des vaches, des tracteurs, se prennent des gifles quand ils se trompent sur un exercice de maths. D'autres, aux difficultés scolaires plus marquées, sont éduquées par des mamans fatiguées et décontenancées, ne sachant pas comment agir face aux difficultés de leurs enfants. Franchement j'ai pleuré presque tout le film. Car le cinéaste a cette présence d'esprit de ne pas représenter l'école comme une bulle hors de tout contexte, même si cet aspect favorise aussi cette forme un peu cocon qui fait qu'on a tout de suite beaucoup d'empathie pour les élèves et qu'il y a effectivement un coté très chaleureux et bienveillant. Mais cette bienveillance et cette avalanche d'innocences dans les regards, sont en pleine période de transition. L'innocence laisse place à l'angoisse, à la frustration, à la sensation de ne pas être normal. Une question me trottait en tête : qu'est ce que ça doit être quand on ne dispose pas d'un instituteur aussi bienveillant ? Qu'est ce que ça doit être hors caméra dans certaines familles, quand on voit qu'une mère n'a aucun souci à frapper son enfant alors qu'ils se savent filmés ?
Là-dessus, il y a un vrai conflit de générations. Ceux qui ont ri devant cette séquence avaient tous entre 50 et 65 ans. Aujourd'hui, notre génération (qui a connu aussi les gifles et les fessées) est davantage sensibilisée contre ces formes de violences. Car elle sont répétées par l'enfant ensuite au sein de l'école. Aucun élève n'est violent sans raison. Toute leur incompréhension du monde et leurs formes de rejets s'illustrent dans le contexte dans lequel ils grandissent. Et toute la bienveillance du monde ne peut empêcher cette fatalité. C'est là, où Être et avoir est profondément tragique. Car cette rupture entre l'empathie profonde que l'on a envers les enfants, et le contexte social difficile, font du film le portrait d'une époque, et d'un système défaillant. Dans une mise en scène d'une grande simplicité mais qui se suffit à elle-même, tant chaque plan te fait sortir la larme de l'œil.