Voilà une illustration parfaite de l’expression : « ne pas savoir sur quel pied danser ». Que penser d’un film qui rate sa cible, mais en touche une autre ? Pourtant, Marc Dugain l’annonce : ce que nous regardons est « librement inspiré » et non « adapté » du roman, et un changement de paradigme permis par cette liberté est plutôt enthousiasmant. Le titre de cette critique n'est pas innocent, il veut souligner la réussite qu'incarne la mise en exergue de la figure paternelle. Le problème, c'est que rien dans cette emphase ne s’éloigne narrativement du récit balzacien, si bien que l’on s’impatiente de voir les libertés promises arriver... pour ensuite déchanter.
Lorsque ces libertés apparaissent, c'est l'ensemble du film qui vacille. Les véritables intentions de Marc Dugain (l’actualisation du récit féministe d’Eugénie Grandet) deviennent limpides au moment où elles se noient. Car à l’exception d’un très joli plan qui voit Eugénie, « enfermée » entre deux hommes avançant et la laissant sur le quai de sa propre vie, c’est d’abord silence radio ; mais quand,
après une ellipse de 5 ans, la protagoniste déballe, d’un coup, tout le mal qu’elle pense d’une société masculiniste qui tient les femmes pour animaux de compagnie
, on se retrouve pris au piège. La mise en paroles, à fortiori dans un champ-contrechamp dispensable, témoigne l'échec de la mise en images.
La frustration est bipartite : ce virage gâche l’ambition scénaristique de cette adaptation libre autant qu’il affaiblit les réussites du film dans ses deux premiers tiers. On peut choisir de retenir la brillante mise en scène qui place un temps le spectateur dans les yeux d’Eugénie, avec toute l’indulgence inhérente au regard d’une fille sur un père qu’elle ne veut condamner hâtivement. Car avant d’être un avare à la double vie, le père est pour sa fille quelqu’un dont les maladresses s’excusent par une bienveillance intrinsèque. Un regard qui évolue à mesure que le film devient visuellement plus lumineux, et qui avance de concert avec la dégénérescence morale et physique de celui qu’elle s’est résignée à condamner. Le tout encadré par un certain nombre de personnages secondaires, avant tout témoins de cette relation qui se délite.
Mais le film se saborde, et sa faible prise de risque générale (caster Olivier Gourmet dans ce rôle, c’est de la triche) rend difficilement excusable son égarement. Le virage s’opère comme par obligation morale, troquant une imagerie épurée (on saluera l’absence de filtres oranges hideux qui hantent tant de films d’époque) pour une minimalisation d’Eugénie et de ses bons sentiments. Manque de temps, manque d’assurance dans la démarche : probablement un peu des deux, avec pour conséquence de faire du personnage une sorte de Miss France perdue au XIXème siècle. Pas vraiment l’idée qu’on se fait de l’émancipation…