Je ne compte pas les heures que j’ai passées à repenser à elle, depuis ce samedi soir d’août sans histoire qu’elle a soudainement enchanté. Le genre de rencontre à laquelle aspire tout spectateur ; coup de foudre dont le caractère intrinsèquement non réciproque importe peu. Elle, c’est Eva, mais pas Eva n’importe quand, Eva en août.
J’aime Eva, évidemment. J’aime admirer ses yeux marron, parfois inexpressifs, souvent chaleureux, même lorsque des larmes viennent les embuer. Pourtant cela ne saurait se résumer qu’à ça. J’aime Eva, mais je voudrais aussi être Eva. Car tout autant que ses yeux, c’est son regard que je désire, sa manière d’observer le monde, et de l’habiter.
S’il est question de hasards dans ce récit de douces errances, la duplicité du désir que j’exprime ici ne peut en être un. Car le film écrit par Itsaso Arana et Jonás Trueba fait justement se confronter deux regards : celui d’Eva, merveilleusement interprétée par la première, et celui de la caméra, dirigée avec brio par le second – et derrière laquelle je me cache aussi. Le film se colle ainsi à cet inévitable enjeu de cinéma mille fois abordé (et mille fois davantage éludé), le laissant irriguer sa mise en scène.
Au début du film, une amie devenue mère reproche à Eva sa distance. De la même manière il nous semble difficile d’accéder à sa vie intérieure. Nous avons la clé, mais impossible d’ouvrir la porte – le proprio nous avait prévenu de la difficulté. Le film ne forcera pourtant jamais la serrure, attendant patiemment qu’Eva consente à s’ouvrir à nous, avec l’aide de celles et ceux qui l’entourent. Le tournant s’observe alors qu’elle se laisse embrasser par l’eau d’une rivière, et se voit concrétisé par l’apparition d’une voix off, qui prendra la forme d’un journal intime.
Cette ouverture progressive viendra renforcer mon attachement au personnage d’Eva. Le désir possessif un peu primaire se laissera presque effacer par celui d’épouser son regard. En sortant de la salle je voudrais moi aussi tenter d’approcher Paris comme elle aborde Madrid. Adopter ce regard vierge, et cette foi inébranlable aux rencontres hasardeuses qui viennent remplir le quotidien. S’émerveiller en voyant couler les larmes de San Lorenzo, et suivre avec confiance les va-et-vient féconds de la lune.