Armé de son savoir-faire tout Hollywoodien, Universal Pictures a réalisé un tri historique dans la centaine de légendes et faits divers douloureusement gravés dans la roche sinistre du mont Everest, pour finalement trouver dans le récit de John Krakauer la seule et unique cordée funeste dont l'Amérique soit sortie victorieuse. Au relief accidenté du Népal, l'exécuteur islandais Baltasar Kormákur substitue un univers sans aspérité, mélange ambitieux mais inélégant de prises de vue réelles et d'inserts plus ou moins vaniteux devant lesquels s'ébroue une poignée d'alpinistes téméraires lancée sur les traces d'Edmund Hillary et Tenzing Norgay en avril 1996. Une ascension tristement célèbre : nombre d'entre eux n'en sont jamais revenus, piégés à jamais sur les ressauts népalais.
Si Everest caresse un fantasme vertigineux, il reste à ce point étranger à toute prise de risque que même la plus spectaculaire des images en relief (un plan d'ensemble sur un mont Everest étonnamment dévitalisé) ne parvient pas à en ouvrir les perspectives. Ainsi, les contradictions nichées dans les grisantes expéditions népalaises menées dans les années 90 sous couvert d'évasion et de dépassement de soi, mais tout de même facturées plusieurs dizaines de milliers de dollars par tête, sont tout aussi rapidement évoquées qu'éludées par les scénaristes Justin Isbell et William Jacobson. À leur place découvrent bientôt les sinistres landes émotionnelles du cinéma à gros budget : armé d'idéaux aventureux, d'amitiés fédératrices, de femmes enceintes et même de résurrections miraculeuses, Everest épargne de peu au spectateur les grandes injonctions métaphysiques qui minaient Gravity, mais ne cherche pas moins à lui tirer la sainte larme par tous les moyens possibles.
Ce qui n'empêche pas Everest de ne pas être totalement sans surprise. Entre deux cadrages complaisants de visages gelés et de mains gangrenées se loge probablement la seule idée de mise en scène de Baltasar Kormákur : celle, par pudeur ou par réserve, de décadrer les chutes mortelles. Un pied glisse puis, fatalement, un personnage sort du cadre et par la même occasion, du film. Le procédé, d'une cruauté inattendue et répété par deux fois, est aussi l'ultime limite d'Everest : cantonné à un hors-champ poli voire inexistant, Baltasar Kormákur semble oblitérer le potentiel mythologique des décors dans lesquels il pose sa caméra. N'est-ce pas sur le mont Everest, après tout, que les cadavres des alpinistes malchanceux, conservés par le froid, servent de balises et d'avertissement à ceux qui leur succèdent ? Il y avait là, sans effets de manche, dans la supériorité grinçante et humiliante de la nature sur l'homme, matière à un bien meilleur drame humain que ne l'est Everest. Ou peut-être lui manque t-il simplement les monochromes émouvants de L'Épopée de l'Everest pour eclaircir le mystère de la plus haute nécropole du monde.