Retour sur la décevante ouverture du 71ème festival de Cannes avec Everybody Knows. Asghar Farhadi ne surprend plus, voire agace en tentant d’appliquer son système de destruction des personnages un peu trop souvent, jusqu’à faire un film un peu vain et très prévisible. Dommage.
A force par démultiplier son système à outrance, Asghar Farhadi finirait-il par s’essouffler? Ses deux derniers films, Le Client et Everybody knows, qui fait cette année l’ouverture du festival de Cannes tendent à le prouver. Everybody knows est une nouvelle occasion pour le réalisateur iranien, ici importé en terres espagnoles, de taper sur ses personnages pour voir jusqu’où ils pourront être détruits. L’intrigue est plutôt cousue de fil blanc et le dispositif qui consiste à filmer d’abord une joie immense avant de la transformer en drame intense, marche beaucoup moins bien que dans A propos d’Elly par exemple. Les acteurs donnent beaucoup d’eux-mêmes, mais cela ne suffit malheureusement pas à captiver l’auditoire, la fin devient presque poussive, ce qui est un comble pour le cinéaste de la tension passionnante et du secret difficile à avouer, qui emmêle tous les esprits. On est loin ici de la force évocatrice du premier et dernier plan du Passé, son autre film hors d’Iran. Là, Farhadi suggérait, aujourd’hui, il souligne un peu trop, quitte à refuser la force des images.
La première partie du film, celle des retrouvailles et de la fête est plutôt bien menée. Le paradoxe pour ce réalisateur de drames absolus est qu’il sait filmer le bonheur ou du moins son apparence. On se promène dans la fête de mariage comme si on y était. On y retrouve les couleurs de l’Espagne telle qu’un Almodovar aurait pu les filmer. Autre chose que Farhadi emprunte au réalisateur espagnol, l’actrice Penelope Cruz, ici au cœur du drame qui se noue. Elle y interprète une mère meurtrie avec une force assez inouïe, mais qui semble un peu vaine. La révélation du film est assez prévisible puisque de toute façon « tout le monde le sait » comme le titre le dit lui-même. Tout le monde sauf Paco, le principal intéressé, interprété par Javier Bardem. Il s’agit sans doute du personnage le plus intéressant du film, parce qu’il est typiquement Farhadien sans être cliché. C’est un personnage qui essaye mais qu’on empêche d’avancer, qui se voile la face, qui doit renoncer et qui, au final, est presque le seul à payer la facture des erreurs de chacun. On pense ainsi à de nombreux personnages féminins ainsi empêtrés dans des traditions que Farhadi a filmées jusqu’alors s’extraire, sans forcément de réussite, de leur milieu, de ce qui était attendu d’elles. Au final, le film manque de souffle, ou tout simplement d’un renouvellement qui serait salutaire pour un réalisateur qui a su viser juste autrefois, quand il ramenait habilement ses personnages à leur humanité, à leurs erreurs et au poids des secrets qui les étouffaient. Avec Everybody knows, il semble avoir décidé d’écraser ses personnages sans raison, sans vraiment les comprendre, les approfondir ou tout du moins les aimer un tant soit peu.