Il est difficile de ne pas être assommé par ce melting pot bruyant et brouillon. Une anti héroïne de plus de 50 ans aurait bien suffit. Une femme dépassée par les événements, qui au fil de ses réalités alternatives acquiert des compétences, devra tuer sa fille, se battre contre un dieu en forme de Bagel, quelle bonne idée, suffisamment décalée pour s'éviter l'accessoire du cahier des charges et rendre un vrai délire visuel tout en jouant du ridicule et de l'improbabilité de toutes ces licences qui rivalisent de fausses bonnes idées à remettre leur héros morts de nouveau actifs.
Au lieu de cela, l'aspect sérieux du drame, quoique loin d'être original, (les conflits intergénérationnels, les crises de couple, le rêve américain des immigrés revu à la baisse et oh, surprise, les choix d'une sexualité assumée homosexuelle) sape l'ensemble et les tentatives d'émotion font choux blanc. On restera bien perplexes quant au choix de vie qu'empruntera Evelyn après toutes ces découvertes de ses vies alternatives et nettement plus emballantes que sa vraie vie au don de soi proche de la flagellation continuelle.
Après le particulier Swiss army man, qui avait pour lui de permettre à Radcliffe et Dano de participer à la joie d'un délire scato, les réalisateurs Wan et Scheinert continuent sur leur lancée qui tiendra plus de l'enfumage melting-poté et hystérique, que de conforter leur désir de sortie de route.
Jouer de l'anti-héros en revisitant le concept du multivers rate le coche et confine à la lassitude tant on attendait un positionnement à contre courant des propositions habituelles. En convoquant pour plus de facilités encore toute une série d'hommages ciné, une intrigue usée jusqu'à la corde, on peut penser que les deux compères ont tenté de se moquer des licences en mettant tout et n'importe quoi au milieu d'un fatras de couleurs, d'actions, de situations virevoltantes certes mais souvent vides et de caractérisations souvent à l'identique. Il en ressort une sorte de copié-collé de plus en plus indigeste et illisible. Des gens qui ont des doigts de hot-dog et se sucent allègrement avec plus ou moins de réussite, se battent avec des godes dans les fesses, et s'appelle Deirdre Beaubeirdra – nom qui relève à lui seul la pauvreté de l'ensemble.
Mais revoir Michelle Yeoh ça fait du bien. Ce qui fait bien moins plaisir, et de la voir ne plus savoir se battre, parfois même doublée et n'avoir que si peu de scènes pour se rappeler à ses grands combats jouissifs et parfaitement chorégraphiés. C'est sans compter que la limite d'âge semble aussi être synonyme de laideur quand ce n'est pas de pointer la méchanceté comme résultante de ceux qui ont raté leur vie, à l'image de cette agent du fisc (Jamie Lee Curtis) bien loin elle aussi de son image glamour, mettant en avant son ventre grassouillet pour nous intimer à lutter contre les diktats sociétaux. C'est bien beau. Mais quand on se prévaut de l'originalité du propos, tout en voulant lutter contre les catégorisations, mais en en dressant des portraits plus que malaisants, on se demande. De la même manière c'est bien le personnage d'Evelyn qui nous intime à accepter notre sort sans rechigner et en faisant amende honorable.
Les destinées des différentes Evelyn relèvent plus du fantasme à destination des spectateurs que de l'expérience jubilatoire. On devient une actrice adulée, un cheffe reconnue, une experte en art martiaux, avant de retourner à une vie terne, croulant sous le travail et les soucis financiers. Son mari (Ke Huy Quan) demandera le divorce comme il se doit, sa femme n'étant plus ce qu'elle était. Un portrait féminin réducteur qui posera question. Pas sûre non plus que l'on apprécie bien l'imagerie du travailleur pauvre chinois et de sa laverie automatique.
La déception est de rigueur où même les scènes en décalage laissent de marbre, la science fiction n'est que prétexte à un trop plein d'effet et de strates alternatives incessantes, de bruit et de fureur.
On se souviendra alors de la réplique d'Evelyn à son mari et non loin de moi l'idée de la renvoyer aux deux Daniels :
J’ai vu ce qu’aurait été ma vie sans toi. C’était merveilleux,
car 2H30 avec très rapidement l'espoir du clap final qui se voit frustré par la continuité de l'histoire, deux fois de suite, c'est long et épuisant.