Si le concept barré et pourtant plaisant de « Swiss Army Man » nous a revitalisé, la dernière œuvre de Dan Kwan et Daniel Scheinert souhaite embrasser ce même élan loufoque. Il n’y aura pas de cadavre en vedette cette fois-ci, mais le contraste de plusieurs vies et de plusieurs egos suffira à préserver ce cadre, qui ne demande qu’à être secoué. Une famille est à la ramasse et agonise dans une journée qui fera un cocktail explosif de qualité, pour ces cinéastes qui ne rêvent pas de la fainéantise du MCU pour explorer leur propre chaos cinéphilique, quitte à en mettre trop. Tout cela servira un récit qui se charge et qui se décharge en permanence en humour, parfois de mauvais goût, mais au fond, il n’y aura que le spectateur pour en juger.
Les Wang n’ont toujours pas débarqué en terre promise et semblent être coincés dans une interminable transition, où les dettes se cumulent, de même que des tâches domestiques et professionnels qui n’en finissent plus. Evelyn (Michelle Yeoh) arrive au bout du rouleau et pourtant, tout va se jouer dans une journée qui va la pousser à arracher cette vie passionnée et passionnante qu’elle a manqué. Son mari, Waymond (Ke Huy Quan), change soudainement de regard, mais également de personnalité, grâce à une intervention venue d’ailleurs ou presque, le multivers. C’est alors l’occasion de lâcher les chiens et les idées de mise en scène, qui pourraient d’abord tenir de l’hommage dans un premier temps. Pourtant, il faut reconnaître une certaine cohérence dans l’enchaînement des plans, tout comme des références choisies, allant de Matrix à Ratatouille.
Outre la culture populaire qui est convoquée dans ce drame familial, qui se gère à coup de trophée dans le derrière, on y va de cette notion d’ascension, qui ne peut concerner que cette Evelyn qui a tout raté de sa vie. L’échec est évidemment scellé dans un enjeu introspectif fort poignants, car il est bien soutenu par l’admirable Deirdre Beaubeirdra (Jamie Lee Curtis), lorsqu’elle n’est pas possédée par une envie meurtrière. Chacun à sa manière revendique un fantasme, qu’il convient d’employer comme une compétence, afin de surmonter un obstacle. Il s’agit du même mécanisme qu’un jeu vidéo, mais la trajectoire pourrait être assez aléatoire, quand bien même l’on puisse tenir les commandes de sa vie. D’un caillou à un autre, c’est également une histoire d’amour, qui lie sa mère à sa fille, qui s’égare dans une solitude aux mille visages. La représentation de cette jeunesse n’en est que plus frustrante, sachant que le potentiel de développer un avenir peut toutefois converger vers la même fatalité, celle de l’exil.
« Everything Everywhere All at Once » en appelle à la culture de ses héros, afin qu’ils enfilent des avatars pour mieux se défendre, dans l’excès et à outrance. C’est une démarche qui peut rapidement en gonfler plus d’un et à juste titre, mais si on accepte de se faire balader de la sorte, il est bien possible de frôler la fascination d’une étrange formule qui gagne à être spectaculaire. Une lutte intergénérationnelle se dessine ainsi, où la poésie viendra s’insérer avec un certain réconfort au milieu de toute cette démonstration de forme. C’est le geste qui compte, de même que l’effort. Les cinéastes misent sur cet équilibre fragile, qu’ils mettent aux mains du public, qu’il soit venu chercher un peu d’adrénaline ou non. Dans tous les cas, le dénouement viendra le requinquer.