Ne me demandez pas d'être objectif avec ce putain de film, Evil Dead et moi c'est une histoire d'amour et je dirais même plus; c'est un amour de jeunesse de ceux qui vous restent en tête comme un souvenir tenace et émouvant qui finit par construire votre personnalité. Je ne sais plus à combien j'en suis de visionnage du film de Sam Raimi , 15, 20, 25 fois ?? Encore une fois en amour on ne compte pas, je crois que ma passion m'a poussé à reprendre très souvent du plaisir avec l'objet de mon désir interdit et ce sur divers support VHS, DVD, Blu-ray, Cinéma, UHD-4K peu importe le flacon pourvu qu'il reste encore et toujours l'ivresse et surtout la folie. Toutefois, je dois bien reconnaître que rien ne remplacera la toute première fois ou comme un puceau tremblotant j'ai reçu en pleine gueule ma première jouissance horrifique puissance mille.
A cette époque bénie des vidéos clubs de quartier dont les gérants n'étaient pas trop regardant sur les interdictions aux mineurs j'avais loué Evil Dead presque par erreur avec quelques autres films. Je regardais déjà quelques films d'horreur, j'aimais bien me faire peur mais j'étais jusqu'alors un gentil voyeur qui titillait ma soif de terreur avec des objets bien inoffensifs. Je devais avoir 12/13 ans lorsque un samedi soir, après la traditionnelle comédie familiale de 20h30, j'ai glissé l'objet du désir interdit dans la fente béante des mâchoires métalliques du magnétoscope. Je n'ai sans doute jamais regardé Evil Dead dans des conditions techniques aussi déplorable, l'image était sale et granuleuse, les couleurs délavées baveuses et dégueulasse, le son crachotant mono faisait saigné les tympans, la bande magnétique usé jusqu'à la corde faisait régulièrement sauter l'image dans des soubresauts épileptiques de mort imminente ... Mais je n'ai jamais vécu l'expérience Evil Dead d'une manière aussi viscérale et intense que ce soir là. Cette première expérience n'avait pas la douceur d'une douce étreinte romantique sur un drap de satin c'était l'immonde crudité de la chair à nue, des fluides corporelles qui vous colle à la peau, des odeurs rances qui vous soulèvent les tripes et des corps soudainement possédés par des sentiments exacerbés de nombreux sens en éveil. J'ai commencé le film dans le noir, j'ai très vite rallumé la lumière puis je suis resté prostré au fond de mon fauteuil tétanisé par la terreur et surtout la folie d'un film dont la mise en scène semblait elle même possédé par je ne sais quels démons.Je ne suis pas de ceux qui rigolent devant Evil Dead, j'ai même parfois du mal à comprendre qu'on puisse le faire (A moins de systématiquement le confondre avec le 2) moi j'en aurait clairement fait dans mon froc de gamin. Je me souviens encore aujourd'hui plus de 30 ans après de cette profonde et incontrôlable terreur qui m'a vrillé les tripes au point d'avoir eu du mal à traverser une à une les pièces éteintes jusqu'à atteindre mon lit une fois le film terminé. J'ai vu Evil Dead comme dans le film lui même quand on exhibe une vieille bande magnétique et qu'après l'avoir mise en route les démons s'éveillent et viennent hanter votre esprit. Depuis ce jour béni/maudit j'aime Evil Dead et je le revois régulièrement... Le film restera pendant un bon moment le film incontournable des soirées entre potes, je voulais le faire découvrir et le partager avec tout le monde quitte à me prendre la tête avec celles et ceux qui avaient l'audace suicidaire de prétendre que le film n'était pas si bon que ça (les cons !!) Quand on aime on a jamais envie que l'on vienne vous cracher au visage que l'objet de vos palpitations intimes n'est pas si aimable que cela.
Ce long préambule étant fait j'ai donc revu Evil Dead encore une fois dans une nouvelle copie remastérisée en 4K , presque une hérésie aux regards de mes premières amours pas très propres. On ne vas pas se raconter n'importe quoi, plus l'image est belle, lisse et détaillée et plus les effets spéciaux et les maquillages bricolés par Tom Sullivan sur le plateau semblent faux à l'écran mais ils gardent pourtant de la matière, des aspérités et de l'authenticité là ou tant et tant de film d'horreur modernes dopés aux effets numériques resteront désespérément lisses comme un cul de bébé. Ce que aucun éléments extérieurs ne pourra venir altérer ou contredire en revanche c'est que bientôt 40 ans après sa sortie ce petit film bricolé dans les bois lors d'un éprouvant tournage marathon de plusieurs semaine demeure un monstrueux morceau de bravoure et de mise en scène. Sam Raimi semble lui même possédé, sa caméra est fluide comme un esprit flottant dans les airs, ses choix de cadres sont toujours monstrueusement anxiogènes , la folie du film gagne lentement la réalisation elle même dans divers expérimentations bizarres mais toujours pertinentes. Bien sûr maintenant que je connais le film par cœur, que j'en ai exploré maintes fois tous les bonus, tous les making-of, toutes les analyses il a perdu de son aura de mystère et surtout de son pouvoir horrifique mais aucunement de son pouvoir de fascination. Il faut toujours être en capacité de remettre une oeuvre dans son contexte pour en apprécier l'essence, pas tant que les circonstances doivent dicter la clémence d'un regard critique juste qu'elles éclairent parfois le regard vers des zones d'ombres propres à nous faire relativiser nos jugements trop hâtifs. Evil Dead reste un premier film aux limites de l'amateurisme dont le tournage s'éternisera dans des conditions très difficile surtout pour les comédiens qui finiront presque tous blessés physiquement. Un tournage marathon de nuit et dans le froid autour de cette fameuse cabane paumée en forêt sans eau et sans chauffage, des heures de maquillages et d'attente parfois le corps recouvert de faux sang collant les vêtement à la peau, des courses éperdues dans les bois et les ronces tournées et retournées des dizaines de fois, des lentilles de contact opaque portées des heures alors qu'elles ne doivent l'être que quelques minutes et qui rendent les acteurs complètement aveugles .... Evil Dead n'est pas ce genre de film qui vous fait croire qu'avec trois potes , une caméra et quelques idées on peux devenir un phénomène sans trop se fouler; c'est même tout le contraire; un film comme Evil Dead, c'est la preuve vivante que rien n'existe sans le talent, l'obstination, le travail et la dévotion d'un réalisateur capable de transcender toutes les souffrances, les larmes et le sang dans l'expression maladive d'une oeuvre cinématographique. Ce n'est pas parce que Evil Dead est une oeuvre fauché et bricolé que c'est devenu un film culte , c'est parce que Sam Raimi est un putain de génie dont le talent explose la moindre petite scène et que toute les contraintes harassantes du tournage , toutes les difficultés, toute la fatigue finissent par servir le film jusqu'à en devenir l'un des élément. Tout fini par se voir et transpirer à l'écran faisant d'Evil Dead l'un des films d'horreur les plus fous et surtout les plus sincères du cinéma. Parfois moqué pour son manque de professionnalisme je trouve pourtant le casting du film très bon, outre bien sûr la révélation de Bruce Campbell. Certes aucunes des actrices et acteurs (à part Bruce Campbell) du film ne fera une belle carrière par la suite mais les trois drôles de dames de l'horreur Ellen Sandweiss , Betsy Baker et Theresa Tilly sont parfaites et Richard DeManincor qui n'a pas grand chose à faire le fait plutôt bien. Il faut aussi saluer l’excellente bande originale de Joseph LoDuca dont les stridentes plaintes de cordes inspireront plus d'un compositeur par la suite....
Evil Dead restera à jamais un film à part pour moi, de ceux qui changent nos vies, de ceux qui restent comme des madeleines de Proust qui nous replonge vers le passé et des circonstances bien précises. Les films qui comptent on se souvient toujours assez précisément quand on les a vus, dans quelles circonstances, dans quelle contexte ... On mesure plus tard l'impact qu'ils auront sur notre culture et nos vies les deux restant intimement liés. Evil Dead a marqué au fer rouge mon amour du cinéma de genre, le film m'a poussé violemment vers les chemins de traverse des films non conventionnels trop souvent méprisés des critiques bien pensantes, le film m'a intimement convaincu que le cinéma n'était pas une simple affaire de regard et de distance mais au contraire une expérience viscérale qui doit vous engloutir corps et âmes quitte à vous broyer l’estomac, vous lessiver les neurones, vous faire pleurer, crier, trembler et bander ... Il y-a les films que l'on regarde avec la distance du spectateur et ceux que l'on vit avec l'intimité du rapport amoureux. Evil Dead est une pierre angulaire et fondatrice de ma construction de cinéphage c'est aussi le film qui réveille au fond de moi un gosse de douze ans effrayé qui comprends pourtant sans le savoir tout le bonheur cathartique du malaise et de l'inconfort. Evil Dead est l'un de mes premiers orgasme de cinéphage, si avec le temps la passion qui essouffle fait qu'on ne se fait plus l'amour que du bout des yeux je resterai à jamais amoureux de ce putain de film et tant mieux pour celles et ceux qui le méprise d'un sourire narquois et cynique , vous n'avez fait que voir ce que j'ai si tendrement embrassé.