S’il s’agit de son premier long-métrage, Alex Garland n’est pas un novice des univers de science-fiction et d’anticipation. Avant tout romancier apprécié des critiques, il est reconnu pour l’adaptation de ses œuvres, dont trois d’entre-elles par Danny Boyle. En effet, admiratif du travail de l’auteur, Danny Boyle a collaboré à trois reprises avec lui pour adapter La Plage, 28 Jours plus tard et Sunshine. Alex Garland est également à l’origine des scénarios de Never Let Me Go, du remake sous-estimé de Dredd et fût même rattaché un temps à l’adaptation cinématographique de la franchise vidéoludique Halo. Alors quand le monsieur décide de s’agiter derrière la caméra, il suscite déjà une certaine curiosité. Mais quand la première bande-annonce nous est dévoilée il y a quelques mois, le projet concentre toutes les attentions. Rien à voir avec le comic-book du même nom de Brian K.Vaughan et Tony Harris, Ex Machina est un premier long métrage se déroulant dans un huis-clos futuriste aussi envoûtant qu’étouffant. Présenté pour la première fois en France au Festival de Gérardmer, Ex Machina a su s’attirer l’enthousiasme du public et celui du jury qui l’a très justement récompensé du Prix du Jury.
Avec Ex Machina, on retrouve l’essence d’un cinéma qui renoue avec une SF gothique d’antan, celle où les scientifiques sont dans une quête perpétuelle du divin et de la Création. La demeure de Nathan (interprété par Oscar Isaac) pourrait s’avérer être une version toute moderne du château du Docteur Frankenstein. PDG reclus dans les confins de ce que la nature a de plus beau à offrir, Nathan est un dirigeant d’une entreprise leader sur le marché de l’informatique. N’ayant plus besoin d’être présent pour assurer la bonne santé de sa société, il s’est émancipé du monde social et médiatique pour se lancer solitairement dans la création d’une intelligence artificielle unique dans l’histoire de la science. Il fait appel au hasard à l’un de ses employés pour être en charge des opérations de test sur l’I.A. Alors qu’en début d’année, Imitation Game sortait dans les salles et revenait sur l’histoire d’Alan Turing, l’employé Caleb (interprété par Domnhall Gleeson) est chargé de faire passer le Test de Turing à cette intelligence artificielle. C’est une expérimentation qui permet de déterminer le niveau de conscience de l’androïde prénommée Ava et de sa capacité à imiter la conversation humaine. Salarié choisi au hasard, le personnage de Domnhall Gleeson va devoir faire appel à toutes ses connaissances pour déceler les moindres défauts et le niveau de conscience de cette I.A. A moins que ce ne soit elle qui en profite pour comprendre l’infime complexité de l’esprit humain.
Ex Machina ne brille pas par son originalité. Depuis toujours, les cinéastes s’inquiètent des travaux scientifiques où la frontière s’avère être de plus en plus mince entre le robot et l’être humain. Mais l’entreprise menée par Alex Garland repose sur un propos qui trouve tout son sens dans le contexte actuel. A l’heure où les grands PDG du monde s’inquiètent des conséquences d’une superintelligence artificielle, Ex Machina débarque et amène avec lui une vision conforme aux inquiétudes de Bill Gates, Stephen Hawking et consorts. Ces derniers évoquaient les effets pervers d’une I.A. dont la puissance croissante l’amènerait à s’émanciper des humains. L’intelligence artificielle a toujours été une notion faisant particulièrement réfléchir les réalisateurs contemporains. On repensera bien évidemment au récent Her de Spike Jonze, mais aussi à Blade Runner de Ridley Scott ou à 2001 : l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick, sans oublier A.I Intelligence Artificielle de Steven Spielberg.
La création d’une I.A. superpuissante est pour Alex Garland un moment clé -si ce n’est unique- dans toute l’histoire de l’humanité. Pour la première fois, une conscience humaine serait purement et entièrement artificielle. Ou quand l’homme flirte avec le pouvoir créationniste. De fait, Alex Garland rend son récit biblique en tout point puisqu’il tire toute son essence dans les symboles poussifs de la Bible. Sept jours sont attribués au salarié pour tester cette toute nouvelle Intelligence Artificielle (Ava, Ève, c'est bon?), la première I.A. donc dotée d’une conscience. Toute l’intrigue se déroule dans un cadre très édenien où un machiavélique et ambigu triangle commence à se mettre en place. Alex Garland huile avec finesse une mécanique scénaristique travaillée et particulièrement tendue. Manipulation, contre-attaque, retournement de situation, le romancier sait jouer avec les nerfs des spectateurs et s’amuse à déjouer ses attentes. De par sa collaboration avec Danny Boyle, Garland en a acquis un très beau sens du cadre et une direction artistique impeccable (les plans en extérieur sont magnifiques). La lumière froide et robotique des intérieurs côtoie la magnificence des espaces verts et aquatiques de l’extérieur. Une esthétique déjà-vu mais particulièrement hypnotique. Sans compter que le film est porté par un trio d’acteur impeccable. Domnhaal Gleeson incarne avec sensibilité ce rôle de petit génie introverti tandis qu’Oscaar Isaac performe en Créateur laissant planer le doute sur ses intentions. Aux côtés de ses deux esprits, Alicia Vikander incarne une androïde aussi glaciale qu’émouvante.
Au-delà même des travaux robotiques, Alex Garland en profite pour délivrer une critique des entreprises comme Google et des réseaux sociaux qui s’enrichissent par la récolte de données personnelles. C’est en révélant sa personnalité en ligne que l’un des personnages se fera aveuglément manipuler et conditionner à des choix personnels illusoires. Toute liberté semble omise à partir du moment où des individus mal intentionnés peuvent se servir de nos données personnelles. Réflexion intéressante mais qui aurait mérité d’être plus étayée. Tandis que la première partie du film se pose comme une rencontre avec les personnages, il y a progressivement une montée en puissance narrative qui finira par aboutir à un dénouement renversant de machiavélisme. A l’instar de son intrigue implicitement biblique, les personnages s’apercevront qu’à force de flirter avec le divin, il est difficile de ne pas s’y brûler les ailes. Plan final crucial où les hommes s’apercevront trop tard de leurs erreurs, de leurs faiblesses tandis que les robots s’émanciperont de leur Créateur oppressant. La thématique de l’oppression pourrait même finalement sonner comme un appel à la révolte pour les populations terrestres oppressées par des dirigeants se prenant pour Dieu. Avant de s’inquiéter du futur, Ex Machina nous renvoie à notre propre situation et se pose finalement comme un film qui appelle à brises ses chaînes.
Trouvant un formidable écho à l’heure où les dirigeants des sociétés informatiques s’inquiètent des travaux sur l’I.A., Ex-Machina est un huis-clos SF maîtrisé à la beauté plastique indéniable. Le film propose une nouvelle et intéressante réflexion sur l’intelligence artificielle et la place de la machine dans notre société. Un sujet longuement rabâché mais dont il serait fort dommage de bouder ici son plaisir.