Les adaptations de la légende arthurienne au cinéma se suivent, et heureusement, ne ressemblent pas. Deux possibilités s'offrent aux cinéastes souhaitant réaliser un film autour de la table ronde. Rester fidèle à une vision traditionnelle, celle dictée par Chrétien de Troyes qui rédigea les premières versions connues des légendes arthurienne au 12e siècle. Ou bien réinterpréter cette légende que tout le monde connait à sa manière, montrer au spectateur sa propre vision des évènements et des personnages. La plupart a choisit la deuxième option, mais cela ne voit pas de soi. Il a fallut attendre longtemps avant qu'un cinéaste n'écarte les carcans de l'historiographie arthurienne.
Nous sommes en 1981 lorsque John Boorman réalise enfin son Excalibur après avoir essuyé de nombreux refus de la part de producteurs qui y voyaient un projet trop ambitieux et risqué. A cette date, quand on parle de la légende arthurienne, la version cinéma de référence est Les chevaliers de la table ronde réalisé par Richard Thorpe en 1953 (si on excepte le cas très particulier de Sacré Graal des Monty Python). Thorpe adopte une vision des plus classique, celle des origines, que Chrétien de Troyes a distillé dans ses écrits il y’a quelques 800 ans. Arthur et ses chevaliers y sont des modèles de vertu chrétienne et chevaleresque, des êtres parfaits et idéalisés. Cependant Thorpe place l’adultère de Guenièvre avec Lancelot au centre de l’intrigue, ce qui n’est pas du tout le cas dans les premiers récits, et ce qui nuance le portrait idéalisé des personnages. Thorpe tenait peut être une bonne idée malheureusement il passe rapidement l’éponge sur cette faute et termine son film par une lutte classique entre le bien et le mal.
Chez John Boorman tout est différent, ou du moins pas aussi simpliste. La vertu n’apparait pas comme un caractère inné, elle nécessite un apprentissage, et un combat de tous les instants pour la conserver. De la même façon on ne nait pas roi, mais on le devient. Et on le devient non pas en retirant une épée d’un rocher, mais en utilisant cette épée à bon escient. Ce que fera Arthur de manière très spectaculaire et théâtrale. Il faut bien que cette histoire ait un héros. La différence avec le héros de Thorpe c'est que celui-ci apparait avec toutes ses failles, autrement dit, avec toute son humanité.
D’une manière générale les différents personnages parviennent à surmonter les épreuves qui se dressent sur leur chemin. Cependant plus d’une fois nous les voyons commettre des erreurs. Nous voyons Arthur perdre son calme quand il affronte un chevalier plus talentueux, au lieu d’accepter la défaite comme un noble chevalier. Lancelot se laisse emporter dans la folie de sa culpabilité après avoir trahi son roi quand il pourrait chercher à racheter sa faute. Quant à Perceval il fera preuve de lâcheté en ne secourant pas un de ses compagnons déloyalement attaqué. Boorman met donc en scène des personnages qui ne sont ni des surhommes ni des êtres infaillibles, contrairement à ce que supposait Richard Thorpe.
Malgré tout Arthur revêt le caractère d’un homme providentiel, celui qui viendra unifier l’Angleterre après des années de lutte intestines. Mais est-ce vraiment le cas ? Après tout Merlin s’était trompé en considérant Uther Pendragon (le père d’Arthur) comme cet homme providentiel. Ici, même Merlin peut commettre des erreurs. Il a beau posséder de grand pouvoir il possède une faiblesse essentiel : il ne comprend pas les mortels, en particulier leurs désirs charnels. Or ce sont ces désirs qui causeront la perte d’Uther, ainsi que celle d’Arthur, mais de manière bien différente. Illustration, s’il en fallait encore une, que les rois ne sont rien de plus que des hommes avec une couronne.
Si l’épisode de l’adultère occupe une place importante ici, il n’est pas aussi central que chez Thorpe. Boorman replace la quête du Graal au centre de l’histoire, car elle sert son propos. La quête du Graal est l’épreuve ultime, que seul le meilleur des chevaliers peut accomplir. Par conséquent tous ceux qui ne sont pas le meilleur s’expose à un échec cuisant. Et même pour le meilleur ce ne sera pas une partie de plaisir. Boorman semble dire qu’il ne suffit pas d’être le meilleur pour réussir, il faut aussi avoir suffisamment souffert pour le mériter. Il faut avoir souffert comme le christ à souffert sur la croix pour être digne de l’immortalité apporté par la coupe qui recueilli son sang ?
En somme, là où Thorpe s'inspire de l'art courtois (exaltation des valeurs chevaleresque), Boorman choisit un point de vue baroque. En effet, Excalibur rappelle beaucoup plus Le Cid de Pierre Corneille que Perceval de Chrétien de Troyes. Tout comme le Cid les personnages de Boorman font face à des dilemmes moraux qui semblent insurmontables (le fameux choix cornélien). De plus ils se sont vus confier des taches trop grandes pour leurs épaules. Arthur a été élevé sans connaitre ses origines ni son destin. Son impréparation à diriger un royaume est criante au moment où il retire l'épée du rocher, et c'est un gamin fuyant littéralement ses responsabilités que met en scène Boorman.
Côté atmosphère là encore Boorman se distingue de son prédécesseur, privilégiant une l’ambiance lourde et oppressante apportée par les paysages brumeux du nord de l’Angleterre, tout en ne rechignant pas à filmer des décors lumineux et bucolique symbolisant la pureté de certain moment de grâce. On reconnait ici la patte du réalisateur de Zardoz qui a gommé certaines de ses imperfections. Les nombreuses scènes se déroulant dans la forêt rappellent également Délivrance, réputé comme le meilleur film de Boorman et son plus gros succès.
Du moins pour l’instant.
Excalibur a en effet reçu un accueil mitigé à sa sortie car considéré comme ringard. Au début des années 8O il n’y avait pas grand monde pour s’intéresser à la magie et à l’univers fantastique, mis à part quelques illuminés qui passaient leur week-end à jouer à donjon et dragon. Les années 70 était plutôt l’ère de la rationalité scientifique de la science-fiction. Excalibur peut être vu comme un pionnier du renouveau du cinéma heroic fantasy (avec Conan le barbare sortie la même année). Hélas les pionniers sont souvent mésestimés et n’acquièrent leur statut que bien des années plus tard. Cela semble être le cas d’Excalibur qui tend à être réévalué à la hausse ses dernières années. Jusqu’à détrôner Délivrance ? Jusqu’à faire oublier toutes les autres adaptations de la légende arthurienne des Guy Ritchie et des Antoine Fuqua? Pour moi c’est deux grands oui. Mais ça c’est pour moi bien sûr.